J’aime lire et écrire depuis mon enfance, c’est ce qui m’a décidée à devenir écrivain. À 18 ans, j’ai fait mes débuts avec une pièce de théâtre intitulée À mon amie l’eau, et après en avoir rédigé une dizaine, je suis passée aux romans.
Lorsque j’ai reçu le prix littéraire Akutagawa pour mon roman Famille Cinéma, j’avais 28 ans. C’est le prix le plus prestigieux du Japon en matière de littérature.
Ce fut un réel honneur de recevoir un tel prix. Néanmoins, des coups de fil d’anonymes se disant « de droite » ont été reçus par quatre librairies de Tokyo où je devais donner des séances de dédicace suite au prix. Ils disaient : « Annulez la séance de dédicace de Yu Miri. Elle est coréenne, elle se moque des Japonais. Si vous n’annulez pas nous nous en prendrons à vos clients. Nous allons poser une bombe. Ça ne nous intéresse pas de tuer une ou deux personnes. » Après délibération entre les éditeurs, les libraires et la police, les séances de dédicacent furent toutes annulées.
J’ai donné une conférence de presse lors de laquelle j’ai fait un discours critique des menaces méprisables qui allaient à l’encontre de la liberté d’expression, et j’ai juré que je n’aurais de cesse de les combattre.
Ces mêmes coups de fil « de droite » furent reçus par les éditeurs de la revue littéraire dans laquelle je publiais régulièrement des essais, portant toujours les mêmes messages de menace : « Si Yu ne change pas de façon de penser, nous continuerons à faire obstruction. »
Pour montrer que nous n’étions pas prêts à céder sous les menaces, l’éditeur et moi-même avons décidé de donner les fameuses séances de dédicace. Nous avons sélectionné au hasard 200 personnes parmi ceux qui s’étaient montrés intéressés par la séance en envoyant leurs coordonnées, et avons vérifié leurs noms et adresses. Les séances de dédicace ont eu lieu sous haute surveillance, avec une vérification de carte d’identité effectuée par la police, et des contrôles aux détecteurs à métaux.
Pendant plusieurs années, je n’ai pas pu participer à des séances de dédicaces, à des lectures publiques ou à des débats dans un lieu public. Certaines librairies refusaient ma venue sous prétexte qu’elles « ne pouvaient garantir la sécurité de leurs clients ».
Mon appartement était également sous surveillance. Je devais informer la police de tous mes déplacements et y retrouver des officiers. À force de vivre traquée de la sorte, j’ai commencé à perdre mes cheveux et j’ai même été hospitalisée pour une inflammation de l’estomac et un ulcère duodénal. Pendant mon séjour à l’hôpital, j’ai repensé à « mon chez-moi ».
Depuis mon enfance, j’ai toujours eu l’impression que ma place n’était nulle part et que je n’arriverai pas à vivre.
Née dans un vide entre la Corée et le Japon, incapable de supporter les disputes de mes parents à la maison, brutalisée par mes camarades japonais à l’école primaire, j’ai toujours trouvé refuge dans les histoires que je lisais pour endurer ma réalité qui faisait de chaque instant une épreuve à surmonter. Puis j’ai commencé à écrire.
Quelles que soient les ressemblances entre l’histoire fictive et la réalité, le monde des mots écrits est une utopie qui n’existe pas dans la réalité. « Utopie » vient du grec « ou » (ne pas) et « topos » (endroit), pour signifier « un endroit qui n’est pas ». Ce sont les histoires fictives qui créent cet endroit. Je me suis mise à écrire des histoires afin de me créer ma place dans le monde. Pourtant, en résultat à mes écrits, je me retrouve menacée par des membres du monde réel.
- La « famille » dans l’œuvre de Yu Miri
par JO Kyung-ran, écrivain
Il y a 19 ans, alors que je faisais encore mes premiers pas d’écrivain, le monde littéraire coréen était marqué par un débat sur les traductions de l’auteur Yu Miri, née au Japon de parents coréens. Avant qu’elle ne remporte le prestigieux prix Akutagawa en 1997 pour son roman Famille Cinéma, ses courts récits Jeux de famille et Pousses de soja, à la suite d’autres pièces et essais, étaient déjà traduits et lus à grande échelle en Corée. J’ai lu l’œuvre de Yu Miri à cette époque, où elle était tout comme moi une jeune auteur d’une vingtaine d’années. Mais Yu était déjà considérée comme faisant partie des jeunes auteurs de littérature « pure » aux commandes du monde littéraire japonais. C’est pourquoi aujourd’hui encore lorsque j’entends son nom, je pense à elle comme un « écrivain de notre temps ».
Si Yu Miri a connu un succès à la fois en Corée et au Japon, c’est parce qu’elle est une Zainichi, une descendante des Coréens vivant au Japon. Elle écrit des fictions en japonais, et elle accorde une importance particulière au thème de la famille. Je ne l’ai encore jamais rencontrée mais lorsque je lis les descriptions de la famille dans ses œuvres, j’ai l’impression de la connaître comme une consœur auteur. Jamais je n’oublierai le choc ressenti à la lecture de Jeux de famille, qui raconte l’histoire d’un père qui donne tout pour construire un foyer délabré dans lequel il pourra rassembler sa famille éparpillée. Ces mêmes personnages reviennent dans Famille Cinéma.
Quand la petite sœur du narrateur insiste pour qu’on tourne un documentaire, les membres de la famille finissent par se réunir. Autrefois ils formaient une « vraie » famille, mais maintenant chacun joue son rôle devant la caméra, la mère, le père, la fille, le fils. Mais les évènements ne se passent pas comme prévu puisque chacun a vécu plus longtemps seul qu’en famille. Mis à part la triste phrase « Pourtant, au final, toute famille n’est qu’une apparence », Famille Cinéma est une histoire brillante qui met en scène une famille dans une situation terriblement ironique. En faisant référence à son propre personnage qui écrit entre la Corée et le Japon, Yu semble prendre conscience de son rôle d’écrivain et de la nécessité qui est la sienne de créer des ponts littéraires entre les deux pays.
Un écrivain ne peut pas se mettre à écrire à partir de rien. Au contraire, il décrit ce qui existe déjà, comme la notion de famille. Je crois que de nombreux écrivains commencent à écrire avec l’envie de traiter ce thème de la famille. Et même si ce n’était pas le cas, quel écrivain refuse d’écrire sur la condition humaine ? Personne ne peut écrire une fiction mettant en scène la famille, surtout lorsque le texte se base sur des expériences personnelles, sans être animé par le désir de comprendre la signification de l’humanité. Autant que je sache, du moins pour ce qui est des histoires sur la famille, il n’existe aucun auteur qui sache écrire avec autant de ténacité, de raison et d’intensité que Yu. On dirait que ses fictions ont pour but de dévoiler le cœur des histoires de famille, c’est-à-dire montrer qu’il existe toujours de l’espoir même dans l’endroit le plus sombre.
Articles parus dans le journal _list (www.list.or.kr). Traduction : Lucie Angheben.
PETITE BIBLIOTHÈQUE :
JEUX DE FAMILLE, comprend « Jeux de famille » et « Pousses de soja »,
Traduit du japonais par Tadahiro Oku et Anna Guérineau,
Philippe Picquier, 196 pages, 7€.
GOLD RUSH
Traduit du japonais par Karine Chesneau,
Phillippe Picquier, 304 pages, 21€.
LE BERCEAU AU BORD DE L’EAU
Traduit du japonais par Jean Campignon,
Philippe Picquier, 224 pages, 20€.
POISSONS NAGEANT CONTRE LES PIERRES
Traduit du japonais par Sophie Refle,
Actes Sud, 269 pages, 20.30€.