Ceux qui l’avaient déjà rencontré en novembre 2011, lors de sa venue à l’université d’Aix en Provence, se rappellent d’une expérience marquante, d’une rencontre inoubliable avec un poète au charisme indescriptible. Fidèle à ses habitudes, Ko Un nous a une fois encore offert un grand spectacle. Keulmadang était présent à Marseille. Résumé d’une belle soirée.
Dans l’ambiance méditerranéenne des locaux du CIPM à la Vieille Charité de Marseille, une petite centaine de personnes se sont réunies pour rencontrer le poète Ko Un, et surtout, pour l’entendre lire ses textes. Après un court discours d’ouverture de la part de Monsieur Emmanuel Ponsart, directeur du CIPM, c’est au tour de Monsieur Jean-Claude de Crescenzo, directeur de la revue Keulmadang, de présenter au public le (très) grand poète qui se tient à la table d’honneur, son inséparable couvre-chef sur la tête.
JCDC : Bonsoir, merci d’être venus nombreux. Il est facile de présenter Ko Un car il est une véritable légende en Corée, nous pouvons affirmer sans hésiter qu’il est le plus grand poète de Corée du Sud. Dans la vie, Ko Un est passé par toutes les étapes, il a connu le bonheur comme la tristesse. Enfant, il a grandi sous l’occupation japonaise. Ensuite, il a connu 3 ans de guerre de Corée, puis, quelques années plus tard, 35 ans de dictature militaire. La vie de Ko Un est un mélange de rose et de noir. Noir quand il fait face à la spoliation de son pays. Noir quand il cherche sa voie, dans les autres, dans l’alcool, dans la poésie qu’il débute mais sans être en mesure de la donner. Et puis rose quand il y parvient. Rose quand il rencontre sa femme. Sa poésie prend un nouveau tournant lorsque sous la dictature, il apprend qu’un homme vient de s’immoler par le feu. Ko Un prend alors conscience du rôle de sa poésie. Celle-ci sera dès lors dédiée à la défense des faibles et au témoignage de l’histoire de la Corée. En 1980, il est condamné à 20 ans de prison. Même période dans une cellule d’isolement, où il occupera un étage entier de la prison seul. Il devra à la solidarité internationale d’être libéré et depuis, sa poésie vagabonde. Né dans le Jeolla, il chemine vers la reconnaissance mondiale, avec près de 155 ouvrages à son actif. 6 recueils de poèmes ont été traduits en français. Il a reçu une trentaine de prix littéraires et donné de nombreuses conférences à l’étranger. Avant de venir à Marseille, Ko Un était en Corée du Nord où il assistait à une réunion du comité de rédaction du dictionnaire du coréen unifié, avec ses homologues du Nord. Celui-ci devrait voir le jour en 2019. Il y a presque 5 ans, Ko Un venait pour la première fois en Provence. Face à quelques 155 personnes, nous avions passé une soirée mémorable. C’était la première fois que j’entendais un poète aussi vivant. Même si la vie du poète est indissociable de sa poésie, on ne trouve aucune lourdeur dans les textes de Ko Un, ses poèmes ne sont ni larmoyants, ni nationalistes. L’avenir est ce qui l’intéresse le plus. Les vers libres qu’il aime utiliser sans ponctuation offrent une touche de mysticisme. Qu’il rate un train ou qu’il reçoive un cadeau, Ko Un affirme que c’est très bien. Comme le montre par exemple le poème qu’il écrit sur un moustique : « Piqué par un moustique / Je suis bien vivant / Gratte gratte ». Ces poèmes très courts sont un peu une spécialité des poésies d’Asie. Dans les Poèmes de l’Himalaya, nous ne trouvons pas de mysticisme, Ko Un y transgresse par sagesse. « Je suis ravi de l’impuissance de la sagesse » nous dit-il. La seule chose qui compte ce sont les gens à rencontrer. Ko Un renverse le paradigme. Ainsi, il chante des vies minuscules, il chante sa vie minuscule. C’est d’ailleurs le but ultime du bouddhisme [Ko Un a passé dix ans de sa vie comme moine bouddhiste à la fin de la guerre de Corée, ndlr] que de retrouver son âme d’enfant. Ko Un nous a annoncé qu’il reviendrait encore nous voir 6 fois. En 1973, alors qu’il trouve refuge dans une petite île, il se fait la promesse d’aller visiter un jour la tombe de Paul Valery. La première fois qu’il pose le pied sur la terre provençale, il nous a fait part de l’envie d’aller sur cette tombe. Nous l’y avons emmené, et il s’est mis à danser devant la tombe ! Il lui aura fallu 40 ans…
C’est ensuite au tour de Ko Un de nous adresser quelques mots, traduits en français par Madame Kim Hye-gyeong. Alors que nous nous attendons tous à ce qu’il commence tout naturellement par ouvrir la bouche, il se lève et lève son verre de vin, dont il est amateur.
KO UN : Je lève mon verre à Marseille, je lève mon verre à la nuit de Marseille, je lève mon verre à la poésie de Marseille !
Je suis un oiseau venu d’Asie de l’Est. Mais je ne suis pas un oiseau géant comme ces oiseaux imaginaires qui peuplent les mythes chinois, je suis un oiseau migrateur. Cela fait maintenant 60 ans que je vis en tant que poète, et j’avoue ce soir devant vous que je souhaite renaitre à nouveau en tant que poète dans ma prochaine vie. Depuis longtemps je sais que c’est dans cette région provençale qu’est née la poésie européenne. Tout comme en Inde où les poètes sont nés au bord des rivières, nous pouvons considérer que ces lieux sont l’utérus de la muse qui permet aux poètes de renaitre. Jadis, au début du XIIe siècle, de nombreux troubadours du midi de la France allaient de château en château. Ils jouissaient d’une telle bénédiction qu’ils recevaient parfois un baiser sur le front pour le plus beau des poèmes. [Ko Un mime un baiser sur le front de sa traductrice du soir, Madame Kim Hye-gyeong, sous les rires du public.] Les troubadours provençaux s’étendent ensuite vers le Nord de la France en prenant le nom de trouvère. Puis, avançant vers l’Allemagne, les fleurs des troubadours ont fondé la littérature de chevalerie allemande. Cela fait longtemps que les poètes sont aussi des chevaliers. De même, en franchissant la Méditerranée, ils sont à l’origine de la poésie sicilienne et du trovatore italien. Ils ont inspiré la fondation de la poésie moderne anglaise et espagnole. Me voici donc à vos côtés dans ce lieu originel de la poésie, qui renait à nouveau dans ce lieu. Je vais maintenant lire quelques uns de mes pauvres poèmes en pensant à Paul Valery, au cimetière marin de Sète, et bien sûr, à Frédéric Mistral !
La lecture commence. Chaque poème choisi spécialement pour l’occasion est déclamé deux fois. Une première fois en français, par Monsieur François-David Lespiau, convié par le CIPM, et une seconde fois, comme en écho, par le poète Ko Un. Habitué des lectures publiques de ses œuvres, Ko Un est maitre en la matière. Il se lève, il crie, il chante, il danse, il se donne en spectacle. Le public est fasciné par la puissance qui se dégage de ce jeune homme de 82 ans. Parfois c’est une voix remplie de tristesse qui résonne dans la salle, une voix dans laquelle on sent la marque des expériences douloureuses. La récitation de Ko Un est un chant, c’est une incantation. Sa voix sort des profondeurs de son corps, elle prend aux tripes, comme la voix des chanteurs de pansori célèbres dans la région natale de Ko Un. Le public est conquis et les applaudissements de fin de séance sont sincères. Ko Un remercie chaleureusement son lecteur d’un soir en français. Mais alors que tout le monde s’apprête à se lever, Ko Un a encore une petite surprise pour son public français. « Ma chanson sera aussi extraordinaire que mes poèmes » annonce-t-il en préambule du célèbre refrain « Arirang », chanson populaire coréenne très ancienne et aimée par le peuple coréen depuis des générations. Il se sert un verre de vin, le savoure, et commence à chanter. La comparaison avec les chanteurs de pansori prend ici toute son ampleur. Le spectacle est sublime. Une belle conclusion à une belle soirée. La lecture a été suivie d’une séance de dédicace du poète Ko Un et d’un verre de l’amitié.
Nous remercions le LTI Korea, partenaire de toutes les manifestations littéraires coréennes, le CIPM, son directeur Monsieur Emmanuel Ponsart, et les éditions Decrescenzo en partenariat avec Keulmadang, pour l’organisation de cette soirée poétique qui fut un réel succès.
J’étais à cette rencontre, et je peux vous assurer d’une chose : Ko Un est certainement l’un des plus grands poètes de l’histoire. Sa manière de réciter ses poèmes est aussi émouvante qu’envoûtante, presque indescriptible.
J’ai également acheté son recueil ‘Poèmes de l’Himalaya » vendu lors de la rencontre, et je l’ai lu, du début à la fin, avec toujours la même émotion. Mais lui seul a le pouvoir de me faire pleurer en les lisant.
Cette rencontre était vraiment agréable et intéressante, d’autant plus que j’ai pu discuté avec Ko Un en personne, en coréen.
Je remercie tout le monde pour m’avoir fait découvrir ce poète talentueux et incontournable, mais je remercie aussi ce dernier pour m’avoir fait tomber amoureuse de la poésie coréenne une seconde fois!