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La dénonciation

 

La dénonciationDes amis, de Baek Nam-ryong, un premier roman publié chez Actes sud permettait aux amateurs de littérature d’en apprendre un peu plus sur la psychologie et la réalité culturelle de l’isolée Corée du nord. L’argument présentait les  états d’âme d’un juge en charge d’une affaire de divorce, dont il tentait de démêler l’enchevêtrement de raisons privées et publiques, sociales et psychologiques. Une très nouvelle façon d’envisager un divorce pour des lecteurs occidentaux. Il en ressortait une impression singulière, comme si la littérature était le moyen de l’introspection sociétale, une forme de réflexion sur le système, ce qu’il engendre, comment il évolue. Assez loin des stéréotypes du réalisme dit socialiste.

La dénonciation[1], ce recueil de nouvelles écrites sous pseudonyme, sur la vie en République Populaire Démocratique de Corée dans les années 90, il y a donc bientôt trente ans, brosse un portrait en négatif de la vision globalement constructive du roman de Baek Nam-ryong, chronique tragique en sept tableaux d’un rêve collectif monstrueusement dévoyé (« L’orme-trésor »,  « La ville des spectres », « Pandémonium »), la loyauté et l’idéalisme bafoués (« La fuite », « La scène ») foulés aux pieds, tout comme le dévouement et l’héroïsme (« Champignon rouge »), ou les valeurs traditionnelles coréennes héritées du confucianisme, comme la piété filiale ( « Si près, si loin »). Si ce recueil émane de Corée du Nord, son réalisme évoque de nombreux titres de la littérature chinoise décrivant comment le totalitarisme a confiné à l’absurde en broyant l’individu avec la liberté d’expression. Il confirme les témoignages de ceux qui ont fui le pays, publiés en France et ailleurs[2], (avec parfois des rectificatifs qui modèrent leur valeur comme pour Rescapé du camp 14, récit de Shin Dong-hyuk, écrit par Blaine Harden), et renforce la défiance entretenue par des récits et des films documentaires, mais dont l’intérêt est limité par la contrainte d’un circuit imposé, et dont on connaît les limites puisqu’il ne montre jamais que ce qui veut être montré. Même si sur le plan littéraire, ce recueil n’a pas le caractère original du roman de Baek, pour le lecteur lambda, c’est une œuvre qui revendique la dénonciation de la tyrannie, introduit par un poème qui s’achève ainsi : « [Ces histoires] sont aussi arides que le désert, /Aussi brutes que la prairie sauvage, /Aussi pitoyables qu’un malade, /Aussi maladroites qu’un grossier outil en pierre, / Mais, cher lecteur, /Je t’en prie, lis-les ! ». C’est donc une œuvre qui conforte l’opinion  générale en Occident.

Pour autant, l’ouvrage a reçu un accueil houleux lors de la parution de sa traduction en français. Il a été édité par un ultra-conservateur en Corée du Sud, et soutenu en France par Pierre Rigoulot, tous deux connus pour leurs prises de position anti RPDC. L’éditeur et traducteur Patrick Maurus, qui publie également des écrivains de Corée du Nord, et Jean-Noël Juttet[3] quant à eux soupçonnent une imposture. Des erreurs et des négligences émailleraient le texte original, bourré de tous les poncifs anti-Corée du Nord, l’hypothèse de la réécriture d’un texte rédigé par un réfugié, voire plusieurs, est aussi envisagée. Un style indigent, dénoncé y compris par Hwang Sok-yong selon qui «  le niveau d’écriture est tel qu’on ne saurait le considérer comme littéraire »[4] , pas de repères linguistiques suffisants pour authentifier l’origine, pas de repères stylistiques comme par exemple la volonté éducative du récit, traditionnelle en Corée jusqu’à récemment au Sud, héritée du confucianisme, mais une traduction lisse de Lim Yeong-hee[5] qui propose le texte dans un français classique et qui défend l’authenticité de l’auteur et de son œuvre. Un auteur appartenant à l’élite intellectuelle reconnue dans son pays, mais qui aurait témoigné sous le manteau, au nez et à la barbe de ses confrères, dans un pays où la liberté d’expression est pourtant manifestement empêchée ainsi qu’en témoignent ces mêmes nouvelles. Deux ans après sa parution en Corée du sud, dans une indifférence qui interroge, et six mois presque après sa publication en français, comment ne pas se demander vue la noirceur de la charge de ce texte, comment l’auteur n’a-t-il pas encore été identifié, en particulier dans son propre pays, généralement critiqué pour sa paranoïa ?

Ce conflit de spécialistes dévoile l’intérêt du marché de la traduction, y compris pour les partenaires coréens, mais ne rend pas forcément service à la littérature coréenne en France. Chez Actes sud, paraît également un recueil de nouvelles d’auteurs de Corée du Nord, sur la même période historique. Il s’agit d’auteurs reconnus dans leur pays, et de textes publiés. Leur traduction en français repose sur d’autres choix stylistiques aussi[6]. L’ensemble devrait susciter la curiosité du lectorat plus averti aujourd’hui des réalités de la société sud-coréenne, mais bien peu encore de celles de la Corée du Nord, encore moins contemporaines, et qui n’a pour tous critères de jugement que ses propres références culturelles, idéologiques, occidentales. Que les lecteurs s’emparent à leur tour de tous ces textes, sans oublier de relire L’invité de Hwang Sok-yong, ni les bandes dessinées de Oh Yeong-jin[7] qui ont le mérite d’évoquer la vie quotidienne des années 2000, est de toute façon la meilleure manière pour eux de se faire une opinion.

[1] http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20160225-denonciation-bandi-est-le-mysterieux-soljenitsyne-nord-coreen
[2] Vies ordinaires en Corée du Nord, par Barbara Demick. Albin Michel 2010, entre autres.
[3] http://www.amitiefrancecoree.org/2016/03/bandi-le-soljenitsyne-nord-coreen-ou-une-simple-imposture.html / . Jean-Noël Juttet est le traducteur de Hwang Sok-yong.
[4] http://www.humanite.fr/hwang-sok-yong-en-prison-jai-compris-le-sens-de-la-tristesse-du-survivant-602300
[5] Directrice de collection et traductrice des œuvres coréennes. Mélanie Basnel est co-traductrice pour le recueil.
[6] Le rire de dix-sept personnes, traduit par Patrick Maurus, Kim Kyoung-sik et Benoît Berthelier, Actes sud.
[7] Le visiteur du sud, et Mission Pyongyang, Editions FLBLB .


LA DÉNONCIATION
DE BANDI (pseudonyme)
Traduit du coréen (Nord) par LIM Yeong-hee et Mélanie BASNEL
Philippe Picquier, 320 pages, 19.50 €.

Documentaliste dans l' Education Nationale, et très impliquée dans la promotion de la littérature pour la jeunesse, j'ai découvert la production coréenne il y a plusieurs années, et j'ai été emballée! Je m'attache donc dans Keulmadang à en partager les délices avec les lecteurs, sans m'empêcher parfois de chroniquer un roman ou une bande dessinée pour les plus grands.

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