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Chapeau renard. La Jeune fille à la laine

Chapeau-renard, Didier Jeunnesse 2011Les deux albums parus chez Didier Jeunesse proposent en effet une approche de l’enfance très particulière et intimiste. Sans doute parce les héroïnes de Chapeau renard, et de La jeune fille à la laine sont des enfants singulières, portant chacune le poids de l’absence d’un père, et l’exprimant en se retranchant du monde et d’autrui, l’une par l’évitement systématique, la seconde par le mutisme. Leur univers graphique, identique, est également assez unique. Un trait fin à l’extrême, jusque dans les détails des vêtements, des tricots, des couleurs adoucies mais contrastées, pour des illustrations qui se déploient sur les doubles pages en laissant beaucoup de place au blanc, élément signifiant à part entière. Des textes qui occupent un petit coin de la page, de la police inhabituellement petite pour un livre d’enfant, et de la typographie si fine qu’elle renforce cette sensation minimaliste, naît cette émotion qui s’apparente au chuchotement, à la confidence.

Ces albums racontent deux histoires simples, de solitude et de marginalité, où la mère solitaire est à la fois la source de l’angoisse et le port d’attache, où la différence est actée et manifeste, grâce à une représentation hors norme en Corée, puisque les personnages sont l’une rousse et l’autre blonde, tout en évoluant à tout petits pas vers une intégration plus normative grâce à l’adoption d’un renard pour la première, et l’accès à la communication par un vocable unique, « lalènne », mais dont le ton est signifiant et explicité par l’auteur dans son texte. Une insertion originale pour chacune, qui les distingue tout en les rendant plus accessibles pour autrui, voilà un biais astucieux pour évoquer l’unicité de chaque être humain, et le droit à cette différence fondamentale. L’enfant qui a peur des autres s’habitue à leur contact grâce à son chapeau-renard, « Chapeau ! Renard, » pourrait-on lire, qui les attire, et la jeune tricoteuse mutique s’exprime et communique par le biais de sa passion jusqu’à enfin, s’essayer à augmenter son discours d’un nouveau vocable, lorsque l’amour le lui impose. Toutes deux s’intègrent, mais après avoir utilisé leur différence, après avoir fait valider leur distinction. Les deux textes fonctionnent comme une suite, même si le second semble s’initier davantage dans la tradition du conte, puisqu’on retrouve le personnage de Chapeau-renard dans La jeune fille à la laine, et parce que le thème est le même, la démonstration aussi comme la résolution. Une façon pour l’auteure de prouver son hypothèse et d’apporter au lecteur la garantie de sa théorie : même différent, même très différent, chacun a sa place dans la société, non pas à la marge, ni en retrait. Un message qui devrait résonner en chacun de nous, petit et grand, mais bien davantage chez les enfants dont l’identité en construction est souvent source d’angoisse et d’incertitude.

La jeune fille à la laine, Didier Jeunesse 2013Kim Seungyoun illustre les récents propos de Lee Sanghee[1] sur la redécouverte par les auteurs coréens pour la jeunesse de la théorie confucianiste des « quatre commencements et des sept sentiments », ou « philosophie du cœur » : joie, colère, tristesse, peur, amour, haine et désir, comme les fondamentaux de la tradition philosophique coréenne, mais qui fait heureusement écho dans notre propre culture occidentale, tout comme l’incontournable respect de l’Autre, « ni tout à fait la même/Ni tout à fait une autre, » et qui malgré tout, « m’aime et me comprend » . (Paul Verlaine, Mon rêve familier[2]).

Deux albums dont le traitement intensément poétique incite à la relecture comme à la rêverie.

 

[1] Sanghee Lee, vice-présidente de IBBY Corée. Texte d’introduction à Sept sentiments dans 130 albums de jeunesse, KBBY, 2016.
[2] Paul Verlaine. – Poèmes saturniens, 1866 (1ère édition).


CHAPEAU RENARD. LA JEUNE FILLE À LA LAINE
DE KIM SEUNGYOUN
Didier Jeunesse, 48 et 60 pages, 13. 90 €.

Documentaliste dans l' Education Nationale, et très impliquée dans la promotion de la littérature pour la jeunesse, j'ai découvert la production coréenne il y a plusieurs années, et j'ai été emballée! Je m'attache donc dans Keulmadang à en partager les délices avec les lecteurs, sans m'empêcher parfois de chroniquer un roman ou une bande dessinée pour les plus grands.

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