Interview donnée à propos de la sortie de son roman Le chant de la terre.

Dans Le Chant de la terre, contrairement à vos habitudes, vous abordez une période sombre de l’histoire contemporaine de la Corée. Avez-vous ressenti la nécessité d’aborder aujourd’hui une telle période ?

Je n’ai pas particulièrement ressenti cette nécessité, mais je pense qu’il est important de considérer ces 3 composantes de l’existence humaine : la vie politique et sociale, la vie intérieure, la vie religieuse. Dans ce roman, en plongeant les personnages dans des situations extrêmes, je pense avoir bien montré ces différentes dimensions.

[…] Ce roman n’est pas un roman historique. Je n’avais pas l’intention de traiter de l’histoire contemporaine de la Corée du Sud ou de la société actuelle. Mon intérêt s’est toujours porté sur l’individu. D’une manière générale, pour illustrer les questions existentielles, les auteurs plongent leurs personnages dans des situations extrêmes. Par exemple, le dilemme du choix. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi la période où le peuple était opprimé par un gouvernement autoritaire.

 

Le roman débute par un événement tragique : dans le village du personnage principal, la terre s’ouvre et engloutit les gens et les maisons (Nombres 16,32). C’est à partir de cet événement que votre personnage va errer à la recherche de sa sœur. Considérez-vous que tout passé doit être englouti pour sans cesse rechercher sa nouvelle voie?

J’ai utilisé ce passage de la Bible qui nous transmet un message de châtiment, pour que le personnage (Hou) puisse faire un pas vers le monde extérieur. Je pense que le passé peut être enterré, sans être véritablement enterré. Le présent tente d’effacer et de dissimuler le passé, mais c’est quelque chose d’impossible.Le passé de Hou est toujours devant lui.

 

Dans une interview, vous me disiez regretter parfois votre non-engagement politique. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre engagé ?

Honnêtement, je ne me rappelle pas très bien dans quel contexte j’ai tenu ces propos. Sans doute ai-je voulu dire que dans aucun de mes romans il n’y avait de transcendance de l’égotisme ; sans regretter pour autant de ne pas être un auteur engagé. Il est vrai de dire que mes romans sont plutôt tournés vers la vie intérieure que la vie sociale ou l’histoire. Et je pense que Le Chant de la terre ne fait pas exception. J’ai toujours eu une forte conscience que l’ego (le Moi), qui est au cœur de mes romans, ne pouvait se construire indépendamment de la structure politique et sociale. Les personnages de mes romans sont un composé de trois éléments : social, psychologique, religieux.

 

C’est sans doute, votre livre le plus influencé par la lecture de la Bible. Et comme par hasard, c’est aussi le plus politique. Église et État, les deux piliers d’une Nation. Avez-vous ressenti cette dualité en écrivant?    

Je n’ai jamais pensé que l’État et l’Église étaient les fondements d’un pays. Par contre, j’admets volontiers que l’Église (croyance) et l’État (la politique) sont les deux fondements essentiels qui forment la vie de chaque individu.

 

Dans votre roman, le personnage erre sans jamais laisser de trace. La seule fois où il va laisser une trace (une carte de visite dans son portefeuille), il va payer très cher (Bastonnade sur la plage). Est-ce que cela a conforté votre vision d’une vie dans laquelle il ne faut pas laisser de trace?

Je trouve cette interprétation unique et singulière. C’est un point auquel je n’ai pas réfléchi en écrivant.

 

À la lecture de vos livres, je trouve que les espaces se réduisent de plus en plus. Particulièrement la chambre… Dans Le Chant de la terre, cette chambre est plus que minuscule. Est-ce une métaphore du lieu impossible à vivre?

On pourrait désigner ces espaces par la métaphore du « débarras de l’ego ». Je pense que l’homme est un être solitaire par essence. La maison et la chambre sont des thèmes très importants dans mes romans. Elles symbolisent l’existence. Le fait que la maison ou la chambre soient des endroits instables et incertains conduit les personnages à l’errance.

 

Vous mettez en cause la dictature militaire en montrant comment un colonel finit par se révolter contre les excès de la dictature. Pourquoi avez-vous choisi un colonel comme personnage plutôt que la figure du résistant populaire?  

Han Jeong-hyo est également un être existentiel, en ce qu’il n’est pas un objet qui ne sait pas réfléchir.

 

Vous êtes natif du Jeolla-do, une région habituée à la résistance. Bien que vous ayez quitté cette région depuis longtemps, continue-t-elle de vous influencer ? De quelle façon ?

On ne peut pas passer outre l’influence du contexte social sur la production d’une œuvre. Cela étant, l’élément le plus important à prendre en considération est que je suis un homme et que j’ai fait des études de théologie. L’image de la résistance dans cette région est liée à l’histoire sombre et tragique de la Corée du Sud. Mais ce n’est pas un élément fondateur de mon roman.

 

Vous êtes l’un des auteurs coréens les plus édités en France. Vous venez régulièrement à Aix-en-Provence. Quel rapport entretenez-vous avec la France?

C’est une question qui m’est très souvent posée. Je suis très reconnaissant aux lecteurs français, mais en même temps, je serais curieux de savoir ce qui les attire dans mes romans. Je suis obligé de parler de l’importance du travail des traducteurs. J’ai la chance d’avoir rencontré des traducteurs talentueux et passionnés.

 

Propos recueillis par Jean-Claude de Crescenzo.
Traduction : Lim Young-eun


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