Rodolphe Meidinger est enseignant de Français à l’Université de Chungbuk à Cheongju en Corée du Sud. Résident en Corée depuis plusieurs années, il redécouvre et transmet en France la culture de ce petit pays et avec ce conte traditionnel, il révèle au lecteur la facette facétieuse d’un peuple dont les légendes sont souvent connues à travers des héros et héroïnes aux amours ou au destin plutôt tragiques.
Jalingobi est un avare de la plus belle espèce, un vieil homme qui compte tout, rogne sur tout et connaît les mille et une manières d’économiser sur le maquereau. Même les mouches sont sous contrôle dans cette historiette malicieuse, puisque le vieil homme poursuit l’une d’entre elles pour sucer sur ses pattes la précieuse sauce dérobée dans l’une de ces jarres où sont conservés les condiments indispensables à la cuisine coréenne traditionnelle. Mais contrairement à notre Harpagon national, ce Jalingobi-là n’est pas méchant homme, et sa pingrerie servira sa communauté lorsque par temps de disette, il partagera sa réserve de riz avec ses concitoyens, devenant par là-même un modèle digne d’être honoré par le Roi lui-même.
Marcela Dvořáková est la compagne de l’auteur, et c’est elle qui illustre ce conte en retournant à la source de l’illustration populaire de Corée, avec une palette de couleurs particulièrement riche en tons ocres, jaunes et dorés, quelques verts et rouges adoucis par un aspect patiné. Les dessins sont stylisés pour les paysages, le vallonnement des montagnes et les rizières, naïfs et réalistes jusqu’à la caricature pour les personnages. Tous sont en effet très expressifs, leur posture, leur âge, leur condition même de paysan ou de noble (merveilleuse évocation d’un tout jeune roi sensible aux rumeurs dans le coin inférieur gauche, à l’abri des murailles de son palais déployées sur le reste de la double page), tout concourt à susciter l’empathie du lecteur.
Cette remarquable mise en images facilite son assimilation à un genre en France plus proche de la fable, et même du fabliau, ce type de récit populaire du Moyen-âge se moquant des travers et des ridicules, qu’on retrouve aussi dans la commedia dell’arte, ou dans la peinture de Brueghel l’Ancien: la comédie populaire, satirique ou bon enfant, est un genre universel. Mais dans ce conte mis en lumière par ce remarquable choix pictural, le ridicule ne tue pas, il est au service de valeurs supérieures, le sens du partage et la solidarité, qui se cachent derrière un sens de l’économie quotidienne poussé à l’extrême. Harpagon est ici sauvé par son éducation, un retournement très inattendu par contre pour le public occidental, qui marque l’originalité de la fable.
La taille disproportionnée de la mouche de l’histoire, avec ses yeux globuleux et sa trompe insolente, et la mine consternée du maquereau, moue désabusée et regard fataliste, unique sujet d’un usage constamment renouvelé pour l’économie domestique, sont tous deux les marqueurs de l’humour qui traverse le récit, très proche de l’exagération du dessin d’animation, auquel le lecteur quel que soit son âge ne pourra rester insensible.
L’édition soignée de l’Atelier des Cahiers sert à merveille les choix esthétiques de l’illustratrice et concourt à faire de ce petit livre un titre à retenir et à offrir sans retenue.
JALINGOBI ET LES PATTES DE MOUCHE
DE MARCELA DVOŘÁKOVÁ ET RODOLPHE MEIDINGER.
Atelier des Cahiers, 40 pages, 12 €.