Le 15 juin 2000, les présidents Kim Dae-jung et Kim Jong-il s’engageaient à œuvrer pour une réunification des deux Corées dans une Déclaration conjointe Nord-Sud. Une promesse économique et humanitaire motivée par la mise en place de la « politique du rayon de soleil » au Sud, pour laquelle Kim Dae-jung reçoit le Prix Nobel de la paix en 2000. Mais la complexité du projet dépasse l’ambition des deux dirigeants et l’idée de réunification semble aujourd’hui s’être totalement envolée.
« Nous souhaitons la réunification, mais, si elle arrive subitement, ce sera une catastrophe pour nous tous. » (p.8)
Le paysage dépeint par Chang Kang-myoung est bien loin de la vision idéaliste de ce début de siècle. Qui veut la guerre débute sur l’effondrement de la dictature des Kim et sur le chaos politico-économique qui en résulte : le Sud ne peut se permettre d’accueillir et de subvenir aux besoins des réfugiés, aussi un « Gouvernement de transition vers la réunification » est mis en place au Nord. Mais la désillusion est totale : le pays est laissé à l’abandon, forcé de survivre sur la production massive de drogue.
Jang Rea-cher, ancien des forces spéciales nord-coréennes, est à la recherche des anciens membres du commando « Vengeance de Sinchon ». Son enquête le mène jusqu’à Changpung, à la frontière des deux Corées, région rythmée par une guerre de pouvoir entre deux cartels. Malgré lui, il se met à dos les hommes de Choi Tae-ryong, l’un des magnats de la drogue. Un jeu du chat et de la souris commence alors entre les deux hommes.
Par manque d’effectifs, Kang Min-jun est envoyé à Changpung en tant que traducteur pour le lieutenant Michelle Long de l’armée malaise. Ensemble, ils enquêtent sur le gang de Paik Sang-gu, alias la « Sangsue ». Mais la traîtrise se tapit plus proche qu’ils ne le croient.
« La Corée du Sud voulait désormais contrôler, de façon hystérique, tous les produits provenant du Nord. Et il en arrivait de toutes sortes, des faux billets, des organes humains réfrigérés, des armes à feu de l’ancienne Armée populaire… » (p.77)
Pour son scénario et son action, Qui veut la guerre mériterait une adaptation cinématographique avec ses grands méchants à la Breaking Bad. Le récit se construit en trois parties composées de courts chapitres, et un épilogue. La narration est fluide, malgré la densité des informations données sur les nombreux personnages, opérations militaires et autres complots classiques, qui nous pousse à rester concentré pour ne pas perdre le fil. Malgré tout, ce thriller haletant devrait plaire aux amateurs du genre.
Ancien journaliste, Chang Kang-myoung s’illustre une fois de plus dans l’art de la critique sociétale. Il ne se détourne aucunement des sujets les plus préoccupants de notre société, mais réussit à se renouveler à chaque fois. Contrairement à Parce que je déteste la Corée et Génération B et leurs problématiques bien actuelles, l’auteur s’intéresse ici à un futur imaginé. Bien qu’hypothétique, la trame de Qui veut la guerre transpire de réalisme dans sa construction, que ce soit au niveau de la réponse du Sud, l’incompétence des états étrangers, le rôle de l’armée, la corruption ultra-présente… Au final, c’est ce qui rend ce scénario terrifiant : sa vraisemblance.
Qui veut la guerre
Chang Kang-myoung
Traduit du coréen par LEE Tae-yeon et Éric LECLER
Decrescenzo, 330 pages, 23€