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Érotiques: 69 poétesses de notre temps

Un volume bien fait et agréable à feuilleter, recueillant les textes de 69 poétesses de notre temps à propos de désir, de tabou et de corps.

Sijo
Le sijo (시조) est un poème à forme fixe originaire de Corée et qui s'est développé lors de la période Joseon.

Les éditions Bruno Doucey publie un nouveau volume titré Érotiques, 69 poétesses de notre temps et comme l’indique le titre, c’est donc entre poétesses et érotisme que vont se jouer les pages qui suivent. C’est à cet endroit que se situe précisément l’érotisme : « Dans la séduction qui advient, la possibilité d’un rapprochement, l’hypothèse d’une jouissance. » C’est sur cette belle promesse d’Ariane Lefauconnier, responsable de la présente anthologie.

Le recueil est divisé en 8 chapitres : Émois Rencontres, Orgasmes, Tabous, Insoumises, Sexualité, Masturbations, et le plus subtil : Enfantement.

Parmi les poétesses coréennes les plus connues, Moon Chung-hee ouvre son poème sur une quasi-déclaration de guerre (p.105) :

Je me servirai de mon sexe
à ma façon comme je l’entends.

Si l’érotisme est justement ce qui évite la guerre, la poétesse marque sa lutte contre les deux agents encadrant la sexualité féminine en Corée : l’État d’un côté, et de l’autre, les ancêtres (sous-entendu les hommes) qui interdisent aux femmes la propriété la plus naturelle :

Je prendrai tout simplement possession de mon corps

Jin Eun-young, que nous avons récemment rencontrée à Paris, à la librairie le Phénix, témoigne d’un premier émoi survenu par devers elle :

Me saisissant par le col le garçon y glissa un poisson

Quasi sijo, ce cours poème (p.16) d’une tendre pudeur s’achève avec la fluidité d’un courant bleu. Dans la séquence Orgasmes, impossible de résister à l’attrait du poème Choses dites de Nancy Huston (p.48) :

personne  jamais
ne m’avait fait trembler liquide en public
fondre de plaisir ou de douleur
à table chez des amis
dans le métro à l’heure de pointe
dans une cabine téléphonique
Oui c’est chose dites
rien qu’avec des mots, tu te rends compte
faisait ruisseler nos cuisses ou nos joues
et en dissimulait le trouble
derrière des lunettes noires ou des regards vitreux

Dans le chapitre Tabous, Hettie Jones défie m’époque (p.69). Elle, la narratrice, 35 ans, travaille dans un camp d’été, s’éprend, au moins un instant, d’un garçon de 15 ans  :

c’est un été pourri. Doux Jésus, elle
le culbute.

Dans son poème La prière des filles perdues Sophie Martin (p.70) aborde le tabou du désir féminin qu’elle transforme en provocation divine :

Seigneur Jésus, qui avait été souvent favorable aux putes
Même à celles qui couchent par plaisir ou par ennui
Vous qui faites que les pierres sont lourdes au bout des bras des pharisiens
Desquels elle tombe, mortes comme eux
Et à la femme adultère quand vous lui dites de ne pas recommencer vous n’avez pas l’air très convaincu

Comme pour entrer en résonance avec le premier émoi de Jin Eun-young, relevons le thème du poisson présent dans le poème de Sigurbjörg Thrastardottir (p.158) dans la séquence Enfantement :

en moi
nage un poisson
ruant en rond et chatouillant
bizarre
de sentir quelque chose de vivant en soi

Ce terrain autrefois accaparé par les hommes, la littérature érotique, poésie comprise, se retrouve en terre de défis avec la poésie féminine incarné par le cri de revendication de Forough Farrokhzad (p.67) la poétesse iranienne (1935-1967), dans ce poème daté de 1957, qui raisonne étrangement en ces temps de reprise en main politique et que pour la cause nous donnons en entier.

J’ai péché
J’ai péché dans une telle extase
Dans une étreinte chaude incandescente
J’ai péché
Entourée de bras ardents querelleurs vigoureux
Dans ce lieu discret et sombre
J’ai péché
Pour ses yeux de mystère
Et mon cœur impatient
A tressailli dans ma poitrine
Sous ses yeux brillants de désir
Dans ce lieu discret et sombre
À ses côtés je me suis assise
Désemparée
Ses lèvres ont versé du désir sur mes lèvres
Je me suis libérée de ce grain
Des chagrins de mon cœur exalté
À son oreille j’ai fredonné la fable de l’amour
Je te désire toi amour de mon âme
Je te désire toi étreinte essentielle
Je te désire
Toi mon amour fou
Le désir s’est enflammé dans ses yeux
Et le vin rouge a dansé dans la coupe
Sur le lit exquis
Mon corps ivre a glissé sur sa poitrine
J’ai pêché avec tant de plaisir
À côté d’un corps frissonnant alangui
Ô seigneur
J’ignore ce que j’ai fait
Dans ce lieu discret et sombre.

Sourions et rageons en même temps avec la postface d’Ananda Devi et son libre éloge de l’orgasme. Comme toujours chez Doucey, ce volume est bien fait, agréable à feuilleter, 69 poèmes en cadrés par l’avant-propos d’Ariane Lefauconnier et une courte notice par poétesse, suivie d’un index et d’une table facilitant la circulation dans le recueil. On pourra peut-être déplorer que les traducteurs ne soient pas systématiquement cités au bas de chaque poème, même si on retrouve quelques noms dans les notices.

Le beau poème de Cristina Peri Rossi qui suit est sans doute la meilleure conclusion (p.102) :

Mon sexe n’est pas un bon conseiller.
Mon sexe on ne peut pas lui faire confiance.
Mon sexe sait des choses sur moi que je ne sais pas


Érotiques, 69 poétesses de notre temps
Anthologie établie par Ariane Lefauconnier
Éditions Bruno Doucey, 2024
208 pages, 20€

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