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La mythologie coréenne

Laurent Quisefit invite à un voyage fascinant à travers les récits fondateurs du pays du Matin Frais.

« La quête des origines, le besoin de comprendre le pourquoi des choses, sont des désirs classiques et naturels de l’humanité. Sans origine, rien ne peut exister, et une communauté se définit notamment par ses origines, sa langue, ses coutumes, autant d’éléments qui permettent la construction de son identité singulière. » (p. 23-24)

Dans La mythologie coréenne, Laurent Quisefit invite à un voyage fascinant à travers les récits fondateurs d’un pays dont l’histoire mythologique reste encore méconnue en Occident. Son ouvrage se distingue par une approche à la fois érudite et accessible, conjuguant rigueur scientifique et narration vivante. En s’appuyant sur des sources écrites et orales – à commencer par le Samguk yusa, un ouvrage réunissant une histoire bouddhique nationale et les récits des origines de la nation coréenne –, il met en lumière l’imaginaire coréen et ses figures emblématiques : rois célestes, ourses devenues femmes, princes nés d’œufs d’or…

Tout au long de l’ouvrage, Laurent Quisefit s’attache à rappeler que la mythologie coréenne ne se résume pas à un simple folklore, mais constitue une véritable clé de lecture de l’histoire et de la culture du pays. À l’instar de nombreuses traditions ancestrales, les mythes coréens ne se contentent pas de dépeindre une cosmogonie : ils expliquent la fondation des royaumes, légitiment le pouvoir politique et reflètent les préoccupations sociétales. Les récits fondateurs des grandes dynasties coréennes y sont autant de témoignages de stratégies politiques, de tensions entre traditions bouddhistes, chamanistes et confucéennes, et d’une volonté de construire une identité nationale distincte de celle des voisins chinois et japonais.

Ce qui constitue la richesse de cet ouvrage, c’est l’équilibre subtil entre traduction des récits, analyse contextuelle et mise en perspective. Laurent Quisefit ne se limite pas à compiler des contes et légendes ; il décrypte leurs symboles, leurs évolutions et les enjeux culturels qui les sous-tendent, au moyen d’une solide documentation. Historien et chercheur associé (EHESS, INALCO, Université de Paris), l’auteur met notamment en évidence les mutations qu’ont connues ces mythes à travers les siècles, influencés par les lettrés, les moines bouddhistes ou les mudangs, chamanes garantes de la tradition orale. Les thèmes de l’anthropogonie, du déluge, de l’origine du feu et de l’eau y occupent une place centrale : comprendre l’apparition de ces éléments, c’est comprendre la naissance des hommes et leur rapport à l’univers.

L’ouvrage est aussi une porte d’entrée vers une réflexion plus large sur la transmission et la transformation des récits. Comme le soulignait Claude Lévi-Strauss, cité par Laurent Quisefit, rien ne ressemble davantage « aux mythes des sociétés exotiques que l’idéologie politique de nos propres sociétés » (p.18). Ces récits ne sont donc pas figés dans le passé. Dans une Corée où l’héritage ancestral coexiste avec les dynamiques d’un pays en plein essor, ces mythes conservent toute leur pertinence, rappelant l’importance d’une ontologie collective.

Avec La mythologie coréenne, Laurent Quisefit signe une contribution précieuse à la transmission de la culture du pays du Matin Frais. À la croisée de l’histoire, de l’anthropologie et de la littérature, son livre offre aux passionnés comme aux néophytes une lecture enrichissante, où érudition et plaisir du récit se rejoignent. Un ouvrage pédagogique incontournable.


La mythologie coréenne
Laurent Quisefit
Atelier des Cahiers, décembre 2024
179 pages, 22€