Chroniques Romance Young Adult

Dis-le à la mer

Solène Mérono offre une romance estivale entre deux adolescents pour lire et pleurer au bord de la mer.

Wattpad & BL
Wattpad est une plateforme internet qui propose des histoires directement écrites par ses utilisateurs. C’est un réseau d’auteurs et de lecteurs qui proposent des histoires courtes en tous genres (romances, thriller, horreur, action...).  Elle a donné naissance à de nombreuses modes telles que les BL (Boys’ Love), un sous-genre de la romance, centré sur les relations sentimentales et sexuelles entre garçons. C’est un courant issu de la culture japonaise (Yaoi), de plus en plus populaire sur internet.
Relations LGBT+
Les mariages entre personnes de même sexe ne sont pas légalement reconnus en Corée du Sud. Les couples de même sexe ne peuvent pas adopter d’enfant. Et dans le cadre militaire, les relations homosexuelles sont passibles de prison.

Qui n’a jamais rêvé d’un amour de vacances, un été au bord de la mer, sur une île paradisiaque ? Difficile de rester insensible à l’appel des vagues, du soleil et du sable chaud, surtout lorsque l’on a entendu parler de l’île de Jeju et regardé Our Blues, Retour à Samdalri ou encore le merveilleux et très récent drama Quand la vie portera ses fruits.

L’île de Jeju (제주도) a commencé à devenir une véritable attraction touristique pour les Sud-Coréens à partir des années 1970. Son climat subtropical, ses paysages volcaniques, ses plages de sable blanc, ses sentiers fleuris et ses restaurants de fruits de mer attirent chaque année de plus en plus de visiteurs. En l’espace de vingt ans, elle s’est imposée dans l’imaginaire collectif comme le « Hawaï » de la Corée et est devenue une destination touristique de premier choix, en particulier pour les lunes de miel.

Par le biais de la hallyu, et en particulier des k-dramas, elle a étendu son aura romantique jusqu’en France où elle a inspiré l’autrice Solène Mérono qui publie en septembre 2024 un roman intitulé Dis-le à la mer. Il s’agit d’un très beau livre bleuté, à la tranche fleurie, qui fait voyager au premier coup d’œil. L’histoire qu’il renferme se déroule entre Séoul et Jeju, sur les pas d’un jeune garçon appelé Junho. Rebelle et aventureux, il voit sa vie bouleversée par un voyage sur l’île de Jeju et une rencontre avec deux jeunes hommes que tout oppose : le tempétueux Jian et le doux Sam. Le roman retrace leurs aventures sur l’île, leurs rencontres avec d’autres jeunes de Jeju, leurs escapades en mer, leurs disputes, leurs séparations et leurs retrouvailles.

Dis-le à la mer est une histoire de jeunesse, d’amour et d’amitié qui fait passer du rire aux larmes. Elle aborde de lourds sujets tels que le deuil, la maladie, les ruptures amoureuses et amicales, avec beaucoup de générosité et… d’irrégularités. En effet, bien que très prenant et facile à lire, le livre souffre dans l’ensemble d’un manque d’envergure.

C’est un roman adolescent qui tire parti des grandes modes actuelles : les paysages paradisiaques de Jeju, la k-pop ou encore les romances Wattpad et les Boys’ Love. Il est écrit dans un style très simple, marqué par une forte oralité ; les échanges entre les personnages sont toujours passionnés et fougueux. Quoique très cliché, cet élan lyrique donne parfois lieu à de belles métaphores, notamment autour du motif de la mer et du personnage de Sam ; le livre profite du charme délicat de ce personnage doux et attachant.

« Ses Converse dépareillées, spongieuses, forment une flaque à l’entrée. Son jean bleu, piqué d’un motif papillon sur une cuisse, est parsemé s’une multitude de tâches d’un bleu plus foncé, et les pointes de ses cheveux gouttent sur le pelage de l’animal dans ses bras. Il est aussi intrigant que la première fois que je l’ai vu. Singulier, comme Jian. Mais plus simple, plus discret, plus attendrissant. »

Les personnages du roman restent cependant des adolescents assez caricaturaux : passionnés et égoïstes, ils sont pris dans des triangles amoureux qui rappellent les romances collégiennes américaines. Malheureusement, l’autrice ne tient pas compte du décorum coréen : les personnages interagissent et se comportent comme des Occidentaux et on peine à retrouver les codes de la société coréenne. L’autrice choisit entre autre de présenter les relations homosexuelles en Corée de la manière la plus simple et naturelle possible. À aucun moment l’orientation sexuelle des personnages n’est soumise à des quelconques critiques ; cette représentation idéale de l’homosexualité ne tient pas compte des dures réalités de la condition homosexuelle en Corée du Sud. Malheureusement, l’homosexualité est un sujet encore tabou dans le pays et les droits des personnes LGBT+ sont loin d’être reconnus. Pour permettre à son lecteur de profiter pleinement de l’histoire d’amour, l’autrice sacrifie le réalisme et la coréanité de son récit. On a donc rapidement l’impression que l’île de Jeju est un simple décor. L’autrice évoque de nombreux éléments emblématiques de l’île comme le Hallasan, Seongsan Ilchulbong ou encore la grotte de Majanggul sans les décrire. Ils apparaissent donc comme de simples accessoires exotiques qui font effet de réel. Ainsi, les haenyeo, une communauté de pêcheuses emblématiques de l’île de Jeju, sont comparées à des « sirènes ».

Néanmoins, bien que la culture coréenne soit traitée de manière superficielle, voire anecdotique, ce n’est pas le cas du thème principal du récit : la maladie de Charcot (sclérose latérale amyotrophique, aussi appelée « SLA »). Le livre dépeint de manière très émouvante et réaliste les effets de la maladie sur la personne qui en souffre mais aussi son entourage, sa famille et ses amis. Avec ce roman, l’autrice rend hommage aux malades, aux aidants et aux soignants en mettant en lumière leur parcours de vie chaotique. Les passages sur la maladie révèlent la véritable force et grandeur des personnages. Sans jamais tomber dans le misérabilisme, Solène Mérono nous instruit par les pleurs sur ce sujet méconnu. Dans les moments les plus durs, elle puise un peu de force et de douceur dans les paysages rassurants de Jeju et parvient ainsi à écrire un livre très prenant.

« Face à mon téléphone, j’hésite. Dans la barre de recherche, le curseur clignote. J’écris « sclérose latérale ». Google complète avec « amyotrophique ». De nombreux liens s’affichent aussitôt. Je clique sur un article au hasard. Souffle court même au repos. Depuis ma conversation avec Aeri, j’ai résisté à l’envie de me renseigner. Secousses musculaires involontaires. »

Dis-le à la mer est donc un roman aussi charmant qu’imparfait. Quoique reprenant de nombreux codes de la hallyu (k-pop, Jeju, les BL), il n’a pas grand-chose de coréen. C’est un livre adolescent qui cherche à séduire puis à émouvoir ses jeunes lecteurs. Cependant, il cache un certain intérêt dans sa description de la maladie de Charcot qui est le véritable sujet du récit. En déroulant son histoire dans le cadre insulaire, en été, au milieu de jeunes adolescents en fleurs, l’autrice crée un microcosme doux amer et rappelle toute la beauté et la fragilité de la vie.

« Accoudés au bastingage, Kenta et moi observons Jeju en silence. Nous gardons nos pensés pour nous, mais je suis certain qu’elles se ressemblent. Il imagine sûrement déjà, lui aussi, le jour où ce bateau nous ramènera ici, quand le soleil tapera fort et que l’eau sera chaude. »


Dis-le à la mer
Solène Mérono
Les Livres du Dragon d’Or, 2024, 16,95€

A propos

Ancienne étudiante en Lettres Modernes, spécialisée en littérature comparée, j’étudie et je mets en perspective la littérature française et la littérature coréenne à travers des thèmes qui me passionnent comme le voyage, la mémoire et l’interculturalité. Je suis également une grande amatrice de cinéma, et en particulier de cinéma coréen.