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Paper Heart, Tome 1 – Adagio

Dans ce premier tome de Paper Heart, une note ratée pousse deux âmes en peine à se retrouver, se guérir et s’aimer.

Reflet d’une société où la question LGBT est encore taboue, la littérature queer sud-coréenne se fait encore timide. Le roman à succès S’aimer dans la grande ville, de Park Sang Young, dont la traduction française est parue l’an dernier, a permis au lectorat une plongée dans le quotidien d’un jeune homme gay. Cependant, c’est peut-être du côté des auteurs et autrices français qu’il faut se tourner si l’on veut lire des romances homosexuelles. En publiant Solène Mérono (Fire on Ice et Dis-le à la mer) et Elodie Condé (Page 341), les éditions Les Livres du Dragons d’Or construisent doucement une collection sur ce thème. Récemment, nous vous présentions d’ailleurs Dis-le à la mer, une romance homosexuelle estivale sur l’île de Jeju. Dans Paper Heart, c’est encore au bord de la mer, mais cette fois-ci à Busan, que Luhan de Freitas nous propose de poser bagages. 

Lorsque le roman s’ouvre sur le personnage de Juwon, c’est une âme en peine que nous rencontrons. Coincé dans une routine ne servant qu’à satisfaire ses besoins les plus fondamentaux, Juwon est hanté par le souvenir de son petit-ami, décédé quelques années plus tôt. C’est avec impatience qu’il attend les jeudi soirs, moments de répit où il s’introduit dans le conservatoire. Mais lorsqu’il se saisit de son violoncelle, Juwon joue machinalement, produisant des notes dénuées de tout sentiment. Quand malgré tout il attire l’attention du nouveau professeur Moon Sangwoo, Juwon a une nouvelle chance de réintégrer le conservatoire. Tout en ravivant sa passion pour la musique, il s’autorise à ouvrir son cœur à nouveau… 

« Mais au fond, c’est logique. Lui et moi, nous nous sommes reconnus au milieu du chaos de ce monde. Lui et moi, nous nous sommes trouvés. Lui et moi, nous nous sommes choisis. » (p.395)

Tout comme ses homologues originellement publiés sur Wattpad, Paper Heart souffre des mêmes faiblesses. En reprenant les clichés de cette nouvelle vague de romance young adult, le roman a dû mal à se démarquer : on nous présente une histoire d’amour habituellement proscrite sous fond de mélodrame. Il s’agit en effet d’une relation professeur-élève (même si la différence d’âge est négligeable). Cette liaison entraîne donc un rapport de hiérarchie, Sangwoo devenant une figure d’autorité palliant à l’absence des parents de Juwon.

Cette histoire d’amour se déroule dans un milieu spécialisé et inaccessible, soumis à des fantasmes : un conservatoire de musique classique. Ainsi, le taciturne et sévère Sangwoo correspond à l’imaginaire autour des professeurs de conservatoire. Mais l’auteur choisit de nous faire entrer en douceur dans cet univers à travers le narrateur-personnage de Juwon. Celui-ci se rapproche plus d’un étudiant lambda, peinant à joindre les deux bouts, portant des sweat à capuche…

L’auteur prend aussi le soin de laisser une grande place aux meilleurs amis de Juwon. Personnages certes secondaires, ceux-ci sont bien développés : ils sont complexes, chacun portant ses propres blessures et cachant ses propres secrets. Le roman prend une dimension assez mélancolique, où le deuil, la trahison et la peur ont une place centrale. Ainsi, les instants de légèreté se font rares : le roman est tire-larmes par moment et les personnages trop souvent malmenés. Cela marque peut-être un passage obligatoire pour pouvoir mieux évoquer l’importance du pardon et de la reconstruction par la suite.

« La musique est peut-être le langage de ceux qui ne savent plus pleurer, mais elle permet aussi, parfois, de libérer quelques larmes trop lourdes à porter. »  (p. 127)

L’auteur aborde des problèmes sociétaux importants : la complexité des relations homosexuelles en Corée du Sud, entre rejet et harcèlement, ainsi que le suicide. Il apporte également une touche française en nous décrivant des scènes de consultation chez le psy, pratique encore peu naturelle chez les Sud-Coréens.

On aurait toutefois aimé que la plume française se ressente davantage. Tandis qu’on pourrait s’attendre à une plus grande diversité dans les personnages étrangers, ils sont au contraire dépeints de manière négative voire stéréotypée. Entre Laurent, le concurrent prétentieux de Juwon au conservatoire, et les deux Anglaises qui se ruent sur le seul Coréen du bar, c’est peut-être Yulia, la petite amie de Sangwoo, qui est décrite comme la plus ambiguë…  

On regrettera également la non-exploitation du lieu de l’intrigue, Busan. Délaissée au profit de Séoul ou Jeju, cette ville est peu représentée dans les productions culturelles sud-coréennes. Ainsi, bien que Dernier train pour Busan fût un énorme succès, la ville n’est jamais visible. Elle a un peu plus sa place dans les romans historiques comme Pachinko ou La déesse qui rêvait du ciel. Toutefois, il est rare de voir l’actuelle et vibrante Busan et d’explorer tout son potentiel, entre mer, montagnes, ports, marchés et monuments historiques. 

Comme le titre du tome l’indique, Adagio, c’est tout en lenteur que les deux personnages vont s’apprivoiser. Malgré une histoire prévisible, l’auteur traite de sujets lourds et explore comment deux cœurs se lient et se réparent. 

Nous tenons à signaler que le roman est destiné à un public averti, prenez donc en compte la présence de nudité et d’érotisme, de harcèlement, d’agression et de suicide. 


Paper Heart, Tome 1 – Adagio
Luhan de Freitas
Les Livres du Dragon d’Or, 2025
416 pages, 16,95 €