Chroniques Cinéma/Drama Romance

Juste l’espace entre nous

En mai 2025, Netflix a ouvert une nouvelle page de son histoire en faisant paraître son premier film d’animation coréen. Alors que le Japon régnait en maître dans cette discipline, Juste l’espace entre nous, réalisé par Han Ji-won, a tout chamboulé en rencontrant un succès à la fois public et critique.

Le film suit deux personnages que tout oppose. La première, Nan-young, est une jeune astronaute brillante et déterminée, prête à tout pour réaliser son rêve : partir dans l’espace et honorer la mémoire de sa mère, tragiquement disparue lors d’une mission sur Mars. Elle habite au cœur de Séoul dans un appartement de verre et mène une vie bien réglée, jusqu’au jour où elle croise la route de Jay. À des années-lumière de ses aspirations, Jay est un jeune homme discret qui tient une petite boutique de réparation de vieux objets dans un quartier tranquille de Séoul. Leur rencontre fortuite donnera lieu à une histoire d’amour aussi belle que contrastée, au croisement de la terre et des étoiles. 

Le génie de Juste l’espace entre nous, c’est d’abord ce mélange d’univers. Inspirés par l’histoire de ces personnages opposés, les animateurs ont imaginé un décor absolument renversant : le film se déroule dans un Seoul rétro-futuriste où se mélangent les parcs, les buildings, les temples, les oiseaux et les voitures volantes. C’est un véritable choc esthétique qui s’inscrit dans la lignée du très célèbre film d’animation japonais Your Name en proposant une esthétique très poétique et un sens du détail qui laisse place à la modernité et à la nostalgie dans un accord parfait. Bien que transformée, Séoul est parfaitement reconnaissable. Ses vieux quartiers, sa tour, la petite rivière Cheonggyecheon, n’ont rien perdu de leur charme. 

© Netflix.

Le film entier baigne dans une atmosphère lo-fi notamment reconnaissable grâce aux jeux de lumière qui alterne entre coucher et lever de soleil, couleurs chaudes et brumeuses ou froides et néons. Cette intimité sensorielle se superpose souvent à une musique douce et feutrée qui laisse entendre les silences et les respirations du monde. Bien plus qu’un simple élément de décor, la musique est un véritable personnage du film. Matérialisée par le tourne-disque cassé de Nan-young et incarnée par Jay, elle est ce qui relie et unit les personnages, sur terre et dans l’espace. L’OST, composée par 1of1, célèbre la musique coréenne et nous fait découvrir les voix de Kim Daniel, AYOUNG ou encore John Park, dans une ambiance jazz et lo-fi très éthérée. Elle est également un fil rouge accompagnant les déambulations des personnages, dans les cafés de Séoul, dans le métro, sur les rooftops… 

Cette abondance harmonieuse de sons et de décors est une manière délicate de célébrer le quotidien et ses petits rien qui font tout le bonheur de vivre. Les habitudes des personnages sont mises en avant par toute une série de petits objets et détails subtilement agencés dans leurs appartements où les plantes, les tourne-disques et les posters de Pink Floyd s’harmonisent avec les écrans connectés et les robots de compagnie. Le présent est introduit comme l’univers dans lequel les deux personnages peuvent se retrouver et s’épanouir, à la frontière du présent et de l’avenir. Sans cela, Jay et Nan-young n’auraient jamais pu se rencontrer. Tout les oppose au point qu’ils semblent vivre dans deux temporalités différentes : le passé, matérialisé par le tourne-disque cassé, les a rassemblés.

© Netflix.

De par son métier et son caractère mélancolique, Jay incarne le passé et la mémoire ; il redonne vie à des objets vintage qui ne marchent plus. C’est un artiste timide et sensible qui a grandi à la campagne avec son grand-père : « J’ai grandi à la campagne chez mon grand père. Il m’a élevé. Pour me laver, il m’emmenait aux bains publics, et sa méthode c’était de me frotter très fort. » Face à lui, Joo Nan-young incarne le futur, le progrès technique et scientifique. Traumatisée par la mort de sa mère, elle fuit un destin qui la hante. Ensemble, ils forment un couple bien plus naturel que dans les K-dramas traditionnels, un couple mature qui s’enlace avec tendresse et construit une vie d’adulte libérée de tous fantasmes adolescents.

Porté par deux acteurs phénoménaux dont on salue la performance vocale – Kim Taeri (Mister Sunshine, Mademoiselle, Twenty Five Twenty One) et Hong Kyung (Weak Hero Class, Hear Me: Our Summer, DP) –, Juste l’espace entre nous est un film qui fait du bien, tout en nous rappelant les dures réalités de la vie. Il apporte une véritable réflexion autour de l’ambition et du développement personnel et nous interroge sur notre rapport aux autres. Comme le Renard du Petit Prince, il nous invite à tendre l’oreille pour mieux se laisser apprivoiser. C’est une porte ouverte vers des films, chanteurs et livres merveilleux tels que Lalaland de Damien Chazelle, Chet Baker, ou encore Au sud de la frontière, à l’ouest du soleil de Murakami.


Juste l’espace entre nous
Réalisé par Han Ji-won
Netflix, 2025

A propos

Ancienne étudiante en Lettres Modernes, spécialisée en littérature comparée, j’étudie et je mets en perspective la littérature française et la littérature coréenne à travers des thèmes qui me passionnent comme le voyage, la mémoire et l’interculturalité. Je suis également une grande amatrice de cinéma, et en particulier de cinéma coréen.

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