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Quelqu’un te ressemble

Entre réel et imaginaire, les huit nouvelles de ce premier recueil de Chung So-hyun touchent aux parts les plus sombres de l’âme humaine.

Une jeune femme parcourt les archives de 1983 en quête d’un article sur l’abandon d’un nouveau-né. Un désir de combler la fissure identitaire créée par l’histoire de sa naissance, telle que narrée par sa mère alcoolique et sujette au délire. Si les circonstances de sa venue au monde demeurent un mystère, peut-être peut-elle choisir la façon dont on se souviendra d’elle à sa mort. Ainsi décide-t-elle de candidater au « service gratuit pour les personnes souhaitant disparaître légalement » : un processus d’extraction de souvenirs pour devenir un de ces livres à la couverture de velours rouge, tous soigneusement rangés sur les étagères de la bibliothèque municipale.

« J’avais plusieurs arguments sur la nécessité de me faire relier, mais je me suis contentée de parler rapidement de la question économique. Le plus difficile, c’était de choisir et d’écrire les souvenirs que je voulais laisser derrière moi. Dans la mesure du possible, je voulais rester entourée de souvenirs heureux. » (p.36-37)

Première nouvelle de ce recueil, « Autobiographie » donne le ton de ce qui est à suivre : entre réel et imaginaire, les huit récits imaginés par Chung So-hyun touchent aux parts les plus sombres de l’âme humaine. Jalousie, abandon, maladie, meurtre… L’autrice ne se détourne aucunement des travers de l’Homme et dépeint un monde abject où les figures parentales maltraitent les enfants, où les amis se déchirent, et où les individus s’encloisonnent dans le déni. Des histoires tragiques, souvent laissées en suspens pour que le lecteur vienne y injecter du sens par lui-même.

La nouvelle éponyme « Quelqu’un te ressemble » – dans laquelle la narratrice fait face à une ancienne amie menaçant son bonheur présent – a été adaptée en drama de 16 épisodes, Reflection of You (disponible sur Netflix). Si l’ambiance pesante de la nouvelle est parfaitement retranscrite à l’écran, plusieurs événements ont été altérés ou ajoutés, offrant ainsi une occasion de redécouvrir l’histoire d’un nouvel œil.

« Chaque séparation était douloureuse, mais je finissais toujours par m’attacher aux nouvelles venues. Je n’aurais pas pu survivre autrement. » (p.192)

Quelqu’un te ressemble est un recueil aussi intime qu’étranger. L’écriture percutante de Chung So-hyun et la précision avec laquelle elle dissèque la descente psychologique de ses personnages peut nous rappeler la plume de Jeong You-jeong. Au milieu d’une surproduction de feel good, l’œuvre de Chung So-hyun est là pour insuffler un renouveau du thriller coréen et nous en sommes ravis.


Quelqu’un te ressemble
CHUNG So-hyun
Traduit du coréen par Irène THIROUIN-JUNG
Decrescenzo Éditeurs, 312 pages, 19€

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.