Saviez-vous que le grand-père de Bong Joon-ho était romancier ? Bien avant son petit-fils, Park Taewon connut un succès public et critique à travers ses nouvelles et ses romans. Né à Séoul en 1909 et mort à Pyongyang, en 1986, il fait partie des écrivains « modernistes » de Corée. Bien que très attaché à sa culture et décrivant souvent les us et coutumes de son époque, il est surtout connu pour son style expérimental, son amitié avec le poète Yi Sang et sa défection en Corée du Nord où il suivit son autre ami écrivain Lee Tae-jun.
Chroniques au fil de l’eau, est un roman choral emblématique de son style ; l’auteur s’inspire du cheminement tumultueux de la rivière Cheonggye pour décrire de manière sensible la vie d’un petit groupe d’habitants ordinaires vivant dans le Séoul des années 1930*. Parmi eux : des coiffeurs, des domestiques, des gisaeng, un bijoutier, un apothicaire, des vieillards, des mères et des amants.
Dans ce petit microcosme, les personnages féminins, souvent victimes des frasques des hommes, de leurs tromperies, de leur violence et de leur lâcheté, font preuve d’une grande résilience et d’une belle sororité, à l’exception des belles-mères qui incarnent le poids des traditions. Les gisaeng en particuliers sont dépeintes comme des jeunes femmes aussi belles qu’intelligentes, maitrisant aussi bien l’art de la table que de la conversation. Clairvoyantes et entreprenantes, elles font avancer l’histoire en révélant les mascarades des hommes.
« Le visage de cet individu témoignait d’une certaine détermination, mais elle ne se laissa pas intimider. Du pied, il écrasa son mégot. La crainte qu’elle avait éprouvée de rencontrer ce charlatan fit place à une forme de soulagement. Il pensait l’avoir effrayée, mais elle était de celles qui savent tenir tête aux hommes. D’un large sourire, elle lui proposa de s’asseoir et, sans même attendre sa réponse, elle s’installa à l’angle d’une table d’où elle attendit tranquillement qu’il abatte son jeu. Elle avait désamorcé la situation et marqué le premier point. »
Parmi les personnages masculins se démarquent les garçons des rues, jeunes apprentis et fils de domestiques, ils personnifient les rumeurs, les répandent et les amplifient au grand dam des maris, souvent perdants. Ils mettent en lien les différentes sphères sociales, celles des riches marchands, celles des provinciaux déboussolés, ou encore celle des marginaux, les gisaeng et les sans-abris.
« Depuis son poste d’observation habituel, Jae-bong épiait le corpulent propriétaire de la mercerie qui cheminait d’un pas tranquille sur la rive sud. Le garçon coiffeur connaissait l’itinéraire qui menait le commerçant à sa boutique de Jongno, mais dernièrement, le gros homme avait changé ses habitudes. Il n’empruntait jamais la berge sud, alors que la différence à parcourir était insignifiante. Pour quelles raisons avait-il modifié son trajet ? Avait-il ces derniers temps des affaires particulières à négocier de ce côté-ci ? »
Tout ce petit monde s’active autour de jeux et lieux emblématiques de la Corée tels que le mahjong et les dabangs, sans qu’apparaisse de graves évènements extérieurs. Les drames mis en avant sont ceux du quotidien, les divorces, les décès, les inondations, à tel point que la colonisation japonaise passe inaperçue. Présente seulement en filigrane à travers le nom japonais de certaines femmes, elle n’inquiète jamais les personnages.
Chroniques au fil de l’eau est donc un roman plus contemplatif que politique. Toutefois il parvient grâce à son sens du détail à retranscrire l’ambiance d’une époque révolue et possède donc un intérêt historique certain. C’est un livre coup de cœur, merveilleusement bien écrit et traduit qui est déjà à nos yeux un incontournable des bibliothèques franco-coréennes !
Chroniques au fil de l’eau
Kim Taewon
Traduit du coréen par Arnaud Duval et Guillaume Jeanmaire
L’Atelier des cahier, 2025
228 pages, 10,50 €
Saviez-vous que le grand-père de Bong Joon-ho était romancier ? Bien avant son petit-fils, Park Taewon connut un succès public et critique à travers ses nouvelles et ses romans. Né à Séoul en 1909 et mort à Pyongyang, en 1986, il fait partie des écrivains « modernistes » de Corée. Bien que très attaché à sa culture et décrivant souvent les us et coutumes de son époque, il est surtout connu pour son style expérimental, son amitié avec le poète Yi Sang et sa défection en Corée du Nord où il suivit son autre ami écrivain Lee Tae-jun.
Chroniques au fil de l’eau, est un roman choral emblématique de son style ; l’auteur s’inspire du cheminement tumultueux de la rivière Cheonggye pour décrire de manière sensible la vie d’un petit groupe d’habitants ordinaires vivant dans le Séoul des années 1930*. Parmi eux : des coiffeurs, des domestiques, des gisaeng, un bijoutier, un apothicaire, des vieillards, des mères et des amants.
Dans ce petit microcosme, les personnages féminins, souvent victimes des frasques des hommes, de leurs tromperies, de leur violence et de leur lâcheté, font preuve d’une grande résilience et d’une belle sororité, à l’exception des belles-mères qui incarnent le poids des traditions. Les gisaeng en particuliers sont dépeintes comme des jeunes femmes aussi belles qu’intelligentes, maitrisant aussi bien l’art de la table que de la conversation. Clairvoyantes et entreprenantes, elles font avancer l’histoire en révélant les mascarades des hommes.
Parmi les personnages masculins se démarquent les garçons des rues, jeunes apprentis et fils de domestiques, ils personnifient les rumeurs, les répandent et les amplifient au grand dam des maris, souvent perdants. Ils mettent en lien les différentes sphères sociales, celles des riches marchands, celles des provinciaux déboussolés, ou encore celle des marginaux, les gisaeng et les sans-abris.
Tout ce petit monde s’active autour de jeux et lieux emblématiques de la Corée tels que le mahjong et les dabangs, sans qu’apparaisse de graves évènements extérieurs. Les drames mis en avant sont ceux du quotidien, les divorces, les décès, les inondations, à tel point que la colonisation japonaise passe inaperçue. Présente seulement en filigrane à travers le nom japonais de certaines femmes, elle n’inquiète jamais les personnages.
Chroniques au fil de l’eau est donc un roman plus contemplatif que politique. Toutefois il parvient grâce à son sens du détail à retranscrire l’ambiance d’une époque révolue et possède donc un intérêt historique certain. C’est un livre coup de cœur, merveilleusement bien écrit et traduit qui est déjà à nos yeux un incontournable des bibliothèques franco-coréennes !
Chroniques au fil de l’eau
Kim Taewon
Traduit du coréen par Arnaud Duval et Guillaume Jeanmaire
L’Atelier des cahier, 2025
228 pages, 10,50 €