En ces temps où surabondent les romans coréens feel good ou healing soseol, la publication d’un roman de Pak Wan-seo apparaît comme un îlot sur lequel peuvent accoster les amoureux d’une littérature qui n’a pas concédé à l’air du temps.
Pak Wan-seo (décédée en 2011) est connue en France depuis la publication du roman Les Piquets de ma mère, puis ce fut l’éclipse jusqu’à ce que soit édité la trilogie L’Arbre nu, Hors les murs et le dernier volume Souvenir d’une montagne (les 3 volumes parus chez Atelier des Cahiers). Le destin de Pak Wan-seo n’est pas un modèle de facilité. Elle entre à l’Université Nationale de Séoul au moment où éclate la guerre et doit interrompre ses études. La guerre déterminera sa carrière mais aussi les thèmes de son œuvre. Le premier thème est consacré à la guerre de Corée où elle y perd son frère. La guerre avec ses séquelles, ses déchirements familiaux, l’arrachement au village natal, l’arrivée à Séoul en plein combat, la pire époque coréenne du 20e siècle. Après cette période, elle consacrera son travail d’écriture à pourfendre la classe moyenne et son mode de vie matériel et artificiel.
Souvenir d’une montagne aborde la vie difficile, la survie plutôt, des civils qui doivent apprendre à vivre avec peu, choisir entre l’armée d’occupation et l’armée nationale. Vivre ou survivre plutôt à coups d’ingéniosité, de débrouille, chaque jour suffisant à sa peine : « S’inquiéter de l’avenir se pratique en temps de paix. En temps de guerre, si on ignore que notre devoir le plus important est de ne pas mourir le jour même, on deviendra à coup sûr un fardeau pour ceux qui le savent » (p.15).
La guerre, c’est aussi le temps des solidarités traditionnelles de la Corée remises en cause par le danger, la disette, les habitations précaires, et l’ignorance de son voisin – est-il favorable au Nord ou au Sud ? – : « Cela devrait être pareil pour ma belle-sœur. Alors que nous n’avions pas un sou et que la situation de mon oncle était sans doute identique, nous ne pouvions demander de l’aide à personne, et nous ne disposions pas de temps pour ce faire. Notre condition étaient des plus misérables en ces temps difficiles ou nos valeurs traditionnelles d’entraide n’étaient plus de mise » (p.142).
L’œuvre de Pak Wan-seo est une large fresque d’une Corée plongée par la guerre et le processus d’éclatement qui ne concerne pas seulement les frontières. La séparation des deux pays entraine des bouleversements inédits dont témoigne le roman : famille séparées, villes détruites, précarisation accrue. Les deux « pays » auront bien du mal à se remettre de cette partition, et fut un temps où le Nord s’en sortit mieux que le Sud. La Corée du Sud trainera, pendant plus de vingt ans une pauvreté endémique. Certes, cette Corée a disparu, mais elle nous donne toujours à voir une société doublement bouleversée par la guerre civile avec le pays frère, mais aussi par l’écart qui se creuse entre les classes sociales qui, s’il a toujours existé, est rendu plus vif, plus injuste encore par les conditions matérielles du pays à cette époque-là. Pak Wan-seo a commencé tardivement sa carrière d’écrivaine, vers 40 ans, et son œuvre abondante est toujours vénérée dans une Corée contemporaine prise entre fuite en avant et retour sur le passé.
Souvenir d’une montagne
PAK Wan-seo
Traduit du coréen par Ko Heejeong et Chloé Gautier
Atelier des Cahiers, 2025
En ces temps où surabondent les romans coréens feel good ou healing soseol, la publication d’un roman de Pak Wan-seo apparaît comme un îlot sur lequel peuvent accoster les amoureux d’une littérature qui n’a pas concédé à l’air du temps.
Pak Wan-seo (décédée en 2011) est connue en France depuis la publication du roman Les Piquets de ma mère, puis ce fut l’éclipse jusqu’à ce que soit édité la trilogie L’Arbre nu, Hors les murs et le dernier volume Souvenir d’une montagne (les 3 volumes parus chez Atelier des Cahiers). Le destin de Pak Wan-seo n’est pas un modèle de facilité. Elle entre à l’Université Nationale de Séoul au moment où éclate la guerre et doit interrompre ses études. La guerre déterminera sa carrière mais aussi les thèmes de son œuvre. Le premier thème est consacré à la guerre de Corée où elle y perd son frère. La guerre avec ses séquelles, ses déchirements familiaux, l’arrachement au village natal, l’arrivée à Séoul en plein combat, la pire époque coréenne du 20e siècle. Après cette période, elle consacrera son travail d’écriture à pourfendre la classe moyenne et son mode de vie matériel et artificiel.
Souvenir d’une montagne aborde la vie difficile, la survie plutôt, des civils qui doivent apprendre à vivre avec peu, choisir entre l’armée d’occupation et l’armée nationale. Vivre ou survivre plutôt à coups d’ingéniosité, de débrouille, chaque jour suffisant à sa peine : « S’inquiéter de l’avenir se pratique en temps de paix. En temps de guerre, si on ignore que notre devoir le plus important est de ne pas mourir le jour même, on deviendra à coup sûr un fardeau pour ceux qui le savent » (p.15).
La guerre, c’est aussi le temps des solidarités traditionnelles de la Corée remises en cause par le danger, la disette, les habitations précaires, et l’ignorance de son voisin – est-il favorable au Nord ou au Sud ? – : « Cela devrait être pareil pour ma belle-sœur. Alors que nous n’avions pas un sou et que la situation de mon oncle était sans doute identique, nous ne pouvions demander de l’aide à personne, et nous ne disposions pas de temps pour ce faire. Notre condition étaient des plus misérables en ces temps difficiles ou nos valeurs traditionnelles d’entraide n’étaient plus de mise » (p.142).
L’œuvre de Pak Wan-seo est une large fresque d’une Corée plongée par la guerre et le processus d’éclatement qui ne concerne pas seulement les frontières. La séparation des deux pays entraine des bouleversements inédits dont témoigne le roman : famille séparées, villes détruites, précarisation accrue. Les deux « pays » auront bien du mal à se remettre de cette partition, et fut un temps où le Nord s’en sortit mieux que le Sud. La Corée du Sud trainera, pendant plus de vingt ans une pauvreté endémique. Certes, cette Corée a disparu, mais elle nous donne toujours à voir une société doublement bouleversée par la guerre civile avec le pays frère, mais aussi par l’écart qui se creuse entre les classes sociales qui, s’il a toujours existé, est rendu plus vif, plus injuste encore par les conditions matérielles du pays à cette époque-là. Pak Wan-seo a commencé tardivement sa carrière d’écrivaine, vers 40 ans, et son œuvre abondante est toujours vénérée dans une Corée contemporaine prise entre fuite en avant et retour sur le passé.
Souvenir d’une montagne
PAK Wan-seo
Traduit du coréen par Ko Heejeong et Chloé Gautier
Atelier des Cahiers, 2025