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Le Chant de la fidèle Chunhyang

Loin d'être une simple histoire, le récit des amours de Chunhyang et Mongnyong s'inscrit dans le paysage littéraire coréen comme un véritable mythe.

Période Joseon
La période Joseon ou 조선시대 joseon sidae, désigne une dynastie coréenne qui a régné de 1392 à 1910. C’est l’une des périodes les plus longues et les plus structurantes de l’histoire de la Corée. Elle instaure le néoconfucianisme comme doctrine d'Etat et se caractérise par une hiérarchie sociale très marquée. C'est notamment lors de cette période que le hangeul, l'alphabet coréen, est crée (1443-1446).
Néoconfucianisme
Le néoconfucianisme est une philosophie morale et politique qui a émergé en Chine au XIᵉ siècle, fondée sur les enseignements de Confucius mais enrichie par des réflexions métaphysiques et éthiques. C'est Zhu Xi, un érudit de la dynastie chinoise Song qui influence fortement cette doctrine. C'est sa vision de la doctrine qui est reprise en Corée et utilisée par l'Etat (ordre moral, examens mandarinaux etc.). En Corée, le néoconfucianisme est appelé 유교 yugyo et devient la doctrine dominante pendant la dynastie Joseon (1392–1910).
Pansori
Le pansori traditionnel se compose de cinq grandes histoires classiques : 춘향가 Chunhyangga, 흥부가 Heungbuga, 수궁가 Sugungga, 적벽가 Jeokbyeokga et 심청가 Simcheongga.

Loin d’être une simple histoire, le récit des amours de Chunhyang et Mongnyong s’inscrit dans le paysage littéraire coréen comme un véritable mythe. D’abord colporté oralement avant d’être couché sur papier et repris par presque tous les médias, ce récit, à bien des égards, exprime ingénieusement l’histoire des meurs de son pays. Au fil du temps, le conte s’est décliné en poème, en roman, en pièce de théâtre, en opéra puis en de multiples adaptations cinématographiques. Cette richesse s’inscrit dans une tradition plus vaste, celle de l’adaptation et de la perpétuation d’un mythe qui s’est hissé au rang de récit national. 

Chunhyang, fille vertueuse d’une courtisane de Namwon, fait la rencontre de Mongnyong, fils du gouverneur local. Alors qu’il se promène dans le jardin du pavillion Gwanghan accompagné de son fidèle serviteur Bangja, Mongnyong aperçoit la jolie Chunhyang perchée sur une balançoire. Tombé aussitôt éperdument amoureux de celle-ci, il lui promet un amour éternel. Les deux jeunes adolescents s’unissent et se promettent une fidélité sans faille, pourtant leur différence de classe sociale les en empêche. Après le départ soudain du gouverneur pour Hanyang (actuel Séoul), son fils est contraint de le suivre et d’abandonner sa bien-aimée afin de n’élever aucun soupçon. Les amoureux éperdus se déchirent, mais Chunghyang jure un amour indéfectible à son bien aimée. Pendant que Mongnyong s’efforce de passer les examens mandarinaux pour retrouver au plus vite celle qu’il aime, un nouveau gouverneur cupide est nommé à Namwon. Lorsque les récits sur la beauté et la vertu de Chunghyang parviennent à ses oreilles, ce dernier se met en tête de la posséder. Fidèle à Mongnyong, elle refuse, et se fait battre puis emprisonner. Pourtant, ni l’un ni l’autre n’abandonne l’espoir de se retrouver un jour. Car dans l’ombre des intrigues politiques et des injustices grandissantes, l’amour et la fidélité occupent une place centrale de ce récit.  

« Par les nuits où rivières et montagnes seront désertes sous le clair de lune, lorsque chantera le coucou, je serai seule pour l’écouter. Et seule, j’entendrai sur la plage de mille lieux le chant des oies sauvages qui cherchent un compagnon. Les métamorphoses de la nature au rythme des saisons ne seront plus, pour mes yeux et mes oreilles, que source de chagrin. » (p. 91) 

L’amour occupe certes une place prépondérante dans ce récit mais c’est d’abord la vertu confucéenne qui y prime. Se déroulant pendant la période Joseon (1392-1905), la hiérarchie, la famille, l’honneur et la piété filiale sont au cœur de cette histoire. Cette dynastie est d’ailleurs caractéristique d’une nouvelle forme de confucianisme, le néoconfucianisme. Cette remise en valeur plus dure des principes confucéens domine à partir du XIVe siècle dans la péninsule et s’inscrit comme doctrine royale, accompagnant l’ensemble des souverains de la longue dynastie Lee (Yi). La structure administrative évoquée dans le récit, les codes sociaux très stricts entre les classes et les coutumes évoquées par les personnages reflètent cette organisation sociétale. 

Cet amour qui, au premier abord, peut sembler risible, voire même idéaliste pour le lecteur du XXIe siècle est bien plus significatif. Véritable récit de mœurs, allégorie de l’idéal néoconfucéen, l’histoire de Chunhyang oscille entre érotisme et sadisme, vertu et vice, tout en dépeignant la société de son époque.

Loin de se limiter à un ensemble de prescriptions morales, les valeurs confucéennes et néo confucéennes renvoient également à une conception ordonnée du cosmos et à une relation harmonieuse avec la nature. Cette dimension est omniprésente dans le récit. Les personnages vertueux que sont Chunhyang et Mongnyong entretiennent un lien privilégié avec le monde naturel : celui-ci devient l’espace du lyrisme, le cadre où leurs sentiments s’expriment et où leur amour se déploie. La nature leur est favorable, reflétant leurs émotions et les accompagnant. Elle est à la fois source d’inspiration lyrique et reflet de leurs sentiments profonds. À l’inverse, les personnages qui ne répondent pas aux idéaux confucéens en sont symboliquement exclus. Leur univers est dépeint de façon matérialiste et appauvrie, marqué par l’absence de cette harmonie naturelle qui, dans le récit, signale la noblesse morale. 

« Un, mon cœur est un, il reste fidèle à un seul. Il y a moins d’un an que nous sommes séparés. Un seul coup de bâton ferait-il fléchir mon cœur ? Non, mon cœur ne changera pas, mon cœur est un. » (p.121) 

Ce mythe, loin d’être figé, s’incarne en de nombreux aspects. Le Chunhyangjeon, récit de Chunghyang, constitue l’un des cinq récits classiques du répertoire du pansori, art musical emblématique de la Corée. Il a toujours été, et est aujourd’hui encore, très régulièrement joué, décliné et occupe une place importante dans l’imaginaire coréen.  

Ce récit constitue également aujourd’hui un atout touristique majeur, s’inscrivant dans l’intérêt croissant pour la culture coréenne et la visite de sites emblématiques de la Corée du Sud. Des lieux associés à l’histoire de Chunhyang, tels que le pavillon de Gwanghan ou la célèbre balançoire, jouent aujourd’hui un rôle important dans l’économie locale. Ils attirent chaque année de nombreux visiteurs, en particulier dans les régions de Jeonju et de Namwon, profondément ancrées dans la tradition coréenne et soucieuses de la préserver. 

Nous recommandons bien sûr la lecture de ce classique du patrimoine littéraire coréen et vous invitons également à découvrir ses nombreuses adaptations, qu’il s’agisse de mises en scène théâtrales ou de versions cinématographiques, notamment celle de Im Kwon-taek (2000). Et pour ceux qui en ont la chance, la visite des lieux associés au récit offre une immersion directe au cœur de cette œuvre emblématique. 


Le Chant de la fidèle Chunhyang
Traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet
Zulma, 2025 (réédition)
208 pages, 9,95 €