Chroniques Fantasy & Science-fiction

L’Oiseau qui boit des larmes – Tome 1 : Le Cœur des Nagas

Dans ce premier tome d’une tétralogie fantasy, Lee Young-do nous plonge dans un univers complexe où peuples et créatures inspirés du folklore coréen se retrouvent séparés par la Ligne.

Il y a vingt-deux ans paraissait en Corée du Sud le premier tome de L’Oiseau qui boit des larmes, une tétralogie signée Lee Young-do. Après avoir conquis plus d’un million de lecteurs en Asie, la saga s’offre enfin une traduction française chez Hachette Heroes. En surnommant l’auteur de « Tolkien coréen », la maison a fait naître de grandes attentes chez le lectorat, attentes comblées de notre côté. 

Le monde imaginé par Lee Young-do est divisé par « la Ligne ». Au sud de celle-ci vivent les Nagas, un peuple reptilien, matriarcal et immortel une fois leur cœur retiré. Le Nord est habité par trois autres peuples : les Hommes (toujours aussi avides de pouvoir mais manipulables), les Tokkebis (maîtres du feu et des illusions) et les Rekkons (immenses hommes-coqs guerriers). La flore et la faune ont tout autant leur importance : une gigantesque forêt protégée par les Nagas, des dragons qui naissent dans des fleurs, des immenses scarabées volants au service des Tokkebis ou encore d’imposants tigres. 

Alors que le Grand Temple Haïnsha complote pour faire passer un Naga au nord de la Ligne, celui-ci est brutalement assassiné juste avant la cérémonie d’extraction du cœur. C’est à son ami, le jeune Ryun, qu’incombe maintenant la mystérieuse mission. Pour la mener à bien, il ne sera pas seul. Un membre de chaque peuple est désigné pour l’accompagner : l’Éclaireur Keïgon Draka, un homme solitaire mangeur de Nagas ; le Destructeur Tinahane, un Rekkon dont la lance mesure près de sept mètres ; et enfin le Sorcier Pihyong, un Tokkebi farceur choisi par hasard. Ensemble, ils vont devoir éviter les patrouilleuses Naga, semer la sœur de Ryun, commanditée de le tuer, faire face à un amas de cadavres doté d’une conscience ou encore combattre des hommes qui se prennent pour des rois.

« Je ne sais pas très bien à quoi comparer exactement cette mission. Disons que ce serait comme…. tomber à l’eau. » (p. 41)

À l’instar de Tolkien donc, Lee Young-do bâtit avec minutie un univers riche et complexe mais dans lequel on est aisément immergé grâce à la fluidité de sa plume. Ainsi, ce premier tome nous permet de découvrir les différents peuples, leurs coutumes, croyances et systèmes politiques… 

On serait tenté de présenter Lee Young-do comme le « maître de la fantasy coréenne » mais nous éviterons de le faire. En effet, lors d’un échange avec son éditeur, il a confié que la catégorisation en fonction des nationalités ne faisait pas vraiment sens pour lui : « Mais, comme je l’ai dit, je ne suis pas à l’aise avec ce genre de classification, ni avec les étiquettes en général. Je ne suis pas certain de l’existence d’une « fantasy coréenne » en tant que telle ». 

Alors certes, Lee Young-do fait écho à la situation géopolitique de la péninsule coréenne lorsqu’il sépare son monde de la Ligne. De plus, il s’inspire d’éléments du folklore coréen, ce qui nous éloigne des représentations classiques de la fantasy occidentale. Pas de panique si vous êtes novices en la matière : un glossaire complet rédigé par l’auteur se trouve à la fin de l’ouvrage. Puis, le but de la fantasy ne serait-il pas justement de nous plonger dans un monde imaginaire loin du nôtre ? 

Toutefois, en articulant son récit autour d’un voyage et d’une quête, les lecteurs retombent sur des motifs familiers et certains enjeux sont universels. Ainsi, le roman laisse une grande place à la contemplation et à la réflexion autour de thématiques comme la mort, la religion, le pouvoir… 

« Avoir un cœur ? C’est vivre dans la peur de mourir chaque jour. » (p. 24)

Mais au milieu de ces réflexions philosophiques et de ces intrigues politiques et religieuses se trouvent des personnages dont les portraits sont tout autant travaillés. Le plus complexe et envoûtant d’entre eux reste Keïgon Draka. Spécialiste des Nagas, impartial et pragmatique, il s’impose immédiatement comme le leader du groupe. Pour ne pas perdre les lecteurs, l’auteur prend le soin de faire graviter autour de lui des personnages plus ignorants de telles sortes à ce que les explications de Keïgon Draka s’adressent autant à eux qu’à nous. Toutefois, Tinahane et Pihyong ne sont pas bâclés et nous avons hâtes d’en savoir plus sur eux et leurs peuples dans les prochains tomes.

Car se sont les Nagas qui restent centraux dans ce premier volume. Leur mode de vie est détaillé, de l’organisation sociale et architecturale à leur moyen de communication et de défense en passant par leurs pratiques artistiques. On découvre ainsi Ryun, effrayé à l’idée qu’on lui retire son cœur, sa sœur Samo, guerrière aguerrie et enviée de toutes, ou encore Piass, maîtresse des poisons et fine stratège. 

C’est un immense plaisir de voir cette œuvre massive coréenne dans nos rayons de fantasy. Bien que l’action soit présente, c’est surtout à la réflexion que Lee Young-do accorde beaucoup d’importance. L’auteur mélange avec habileté le folklore coréen et les codes de la fantasy occidentale pour construire un univers dans lequel on se plonge bien volontiers. Rendez-vous en octobre 2026 pour le prochain tome.

« Le roi est un oiseau qui boit des larmes. Le plus sophistiqué, le plus beau des oiseaux, mais le premier à mourir. » (p. 366)


L’Oiseau qui boit des larmes – Tome 1 : Le Cœur des Nagas
Lee Young-do
Traduit du coréen par Marion Gilbert 
Hachette Heroes, 528 pages, 25€

A propos

Titulaire d'une licence LLCER Trilangue Anglais-Coréen à l'Université Aix-Marseille, je suis actuellement en M2 d'Etudes Culturelles à l'Université Paul-Valéry. Passionnée par la littérature et le cinéma, les productions coréennes me permettent d'aimer et de comprendre chaque jour un peu plus ce pays.