Qui est Jo Jong-nae ? À cette question, le philosophe Yves Vargas répond : « Un écrivain d’une stature hors du commun qui a consacré sa vie à écrire l’histoire de son peuple au point d’en devenir le symbole vivant. Ses romans parlent de la Corée, mais ils ont une portée universelle… » À son sujet, le journaliste Claude Colombo écrit dans La Croix : « Jo Jong-nae fait partie de ces intellectuels coréens qui, malgré les doutes et les questionnements, ont su tenir fermement la barre de l’honnêteté et du courage face aux tracas en tous genres. […] De Séoul à Gwangju, de Pusan à Chéju, les Coréens ne s’y trompent pas, [eux] qui plébiscitent une œuvre qui cette année atteint le chiffre record de la 200° réédition. »
Le lecteur qui lit le roman-fleuve Arirang découvre ce que fut le drame du peuple coréen écrasé par un régime colonial sans pitié. Ce roman, dans les derniers chapitres, laisse entrevoir la partition de la péninsule coréenne décidée par les Soviétiques et les Américains sans tenir compte de la volonté du peuple désireux de vivre en paix. Après la capitulation du Japon le l5 août 1945, les Coréens purent juste pendant une journée exprimer leur joie pour la liberté retrouvée et crier « Vive la Corée indépendante ! » En effet, dés le lendemain, la population perdit toute illusion quand elle apprit que le pays était placé sous tutelle, soviétique au Nord, américaine au Sud. « Les Coréens ont été embrigadés dans des idéologies étrangères – le communisme et le capitalisme – importées par les Américains et les Soviétiques… », écrit le père jésuite Jean-Yves Calvez, spécialiste incontesté de la pensée de Marx (Revue Études de mai 2008, tome 408. n° 5. page 688.). Dans le même article, le père Calvez, à propos de La chaîne des monts Taebaek, parle de « drame de l’indépendance volée […] Drame en fond de tableau d’un peuple paysan écrasé par les propriétaires, vieux problème […] typique de zones entières de |’humanité sortant tout juste […] de situations féodales ». M. Jo, en écrivant le roman La chaîne des monts Taebaek, nous révèle ce que fut la vie dans la moitié Sud du pays au lendemain de l’indépendance. Ce roman a eu un impact considérable sur la population sud-coréenne. L’auteur de cette œuvre magistrale y fait preuve d’une remarquable puissance de création. Par son verbe, il fait bouger les hommes, les pousse à se regarder comme dans un miroir et leur fait découvrir une réalité trop longtemps ignorée. C’est une œuvre qui ne manque ni de souffle ni de rebondissements, et malgré son côté tragique, les traits humoristiques y abondent. À côté des horreurs de la guerre, on y voit le peuple qui jamais ne se départit de son optimisme et de sa foi en la victoire finale. M. Jo, par son analyse des comportements humains, par son sens des réalités, son honnêteté, son absence de jugement, ses descriptions tantôt sensuelles, tantôt cruelles ou satiriques, mais aussi, par ses tableaux poétiques, dépeint la société coréenne du milieu du 20e siècle. À ce sujet, le père Calvez écrit encore : « Que de truculence, de langage cru ! Mais que de profondeur : la place du chamanisme et de ses rites vieux-coréens frappe fortement le lecteur occidental. » Jo Jong-nae nous présente un peuple avec ses travers et ses défauts, avec son côté bon vivant, gai et plein de bon sens, ce qui fait de ce roman une œuvre d’ores et déjà considérée comme un grand classique de la littérature coréenne. La clef de ce roman nous ouvre la porte sur un conflit social dont l’élément moteur est l’homme capable de surpasser et maîtriser les événements et qui nous apprend à vivre ensemble en nous portant au secours des plus faibles. C’est au peuple opprimé que M. Jo donne la parole. Ses principaux personnages ont une vive conscience de l’histoire et des problèmes de la société. Vu sous cet aspect, ce roman révèle la haute conception qu’a l’auteur de la vie et de la dignité de l’homme en quête d’un monde plus juste. Cette œuvre porte la marque de l’authenticité. Si dans La chaîne des monts Taebek, M. Jo partage certaines idées avec le philosophe Jean-Jacques Rousseau, il est vrai aussi qu’en son temps déjà la philosophe Simone Weil, dont en France nous avons récemment célébré le centenaire de sa naissance, s’est souciée des plus pauvres, des ouvriers exploités et opprimés. Ayant partagé la condition des ouvriers en usine, elle a analysé dans ses écrits le processus de déshumanisation de l’homme. Comme elle, qui s’est battue pour que soit reconnue à tout homme sa dignité, M. Jo fait partie de ces grands penseurs qui défendent la grandeur de toute personne humaine. Si la longueur de ce roman peut au premier abord avoir un aspect quelque peu rebutant, celui qui s’y plonge fait rapidement la découverte d’un monde et d’une histoire qu’il ne pouvait imaginer. La lecture en est fascinante, au point qu’il devient difficile de fermer un tome avant de l’avoir dévoré. M. Jo nous montre des hommes et des femmes débordants d’énergie, sûrs de leurs affirmations, fermes dans leurs décisions et attachés aux valeurs de justice et de fidélité. En dénonçant avec vigueur les injustices et les exactions d’une minorité de riches, il réveille la conscience de ses compatriotes et leur permet de rêver d’une société nouvelle dans laquelle tous auraient les mêmes droits et les mêmes devoirs. Avant de voir des « Rouges » dans ces paysans miséreux et sans terres, il voit en eux des êtres humains qui ont faim, qui sont exploités et opprimés, des gens simples et dignes qui, tout comme les nobles, les riches ou les intellectuels, méritent l’estime de tous. À ses yeux, il n’y a plus de différences de classe. En décrivant la lutte des petits paysans pour leur survie, il rapporte également, sans complaisance, et non sans dérision, le train de vie des nobles et des riches qui ne pensent qu’à profiter de leurs biens. ll utilise ses personnages comme un agriculteur qui sème les graines dans la terre et l’histoire de la Corée pour faire remonter à la surface la vérité historique et révéler les luttes qui ont jalonné les soubresauts causés par la partition de la péninsule, avant, pendant et après la guerre. Ainsi, tout en dénonçant les injustices de la société qui font que les uns sont toujours plus riches et les autres plus pauvres, M. Jo se fait l’avocat de l’humanité, et devient en quelque sorte la conscience vive de son temps, le pourfendeur des oppresseurs et le défenseur des droits des pauvres, des exploités et des opprimés. En ce sens, ce roman a une portée universelle et devient la mauvaise conscience des oppresseurs et des riches qui, à notre époque encore, continuent en toute bonne foi à exploiter les plus faibles au nom de la défense des richesses acquises. La vie des métayers sans terre que l’on voit peiner dans La chaîne des monts Taebaek, est la parfaite image de ce que vivent de nos jours des peuples entiers dans certains pays où les riches réduisent à l’état d’esclaves les ouvriers, où les propriétaires fonciers refusent de partager les terres aux paysans qui reçoivent tout juste de quoi ne pas mourir de faim. Avec réalisme, M. Jo décrit ces gens qui croyaient fermement que leur engagement et leur combat allaient les mener à la victoire sur les forces oppressives. Ces gens étaient tellement persuadés de la justesse de leur combat, que tous, les uns après les autres, ils versèrent leur sang, assurés qu’ils étaient que le jour de la victoire serait au rendez-vous. Dans cette immense œuvre, M. Jo rend hommage et justice à toutes les victimes innocentes des protagonistes des idéologies qui se sont affrontés sur la terre de Corée avant et pendant le conflit qui opposa la Corée du Nord à la Corée du Sud. « À travers la voix de Kim Beom-ou, le professeur humaniste, écrit Yves Vargas, M. Jo rappelle que la Corée a besoin de former un peuple et que l’union doit prévaloir sur tout le reste. » Et M. Vargas conclut son article par ces mots : « En cette époque où les nations sont menacées dans leur souveraineté et leur unité, la leçon reste brûlante, et si La chaîne des monts Taebaek nous fait découvrir la Corée, elle parle aussi de l’humanité tout entière. » (La Pensée, n° 356, P. 149. Octobre-décembre 2008). L’œuvre de M. Jo, qualifiée de grandiose par le président de FAPFA, et pour la traduction de laquelle les membres du Jury des Mots d’Or nous ont sélectionnés à l’unanimité pour être Lauréats du Mots d’Or de la Découverte historique, permet de porter à la connaissance du monde francophone l’histoire et la culture de la société coréenne. Grâce à cette distinction du Mot d’Or, l’opportunité est donnée par l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie) qui compte cinquante-deux États membres, de découvrir la Corée avec sa longue histoire, sa culture, sa pensée, ainsi que la grandeur de son peuple qui, loin de reculer devant l’adversité, à force de volonté et d’énergie, a rejoint le club des grandes puissances industrielles de la planète. Demeurant en France, je remercie KLTI de m’avoir donné l’opportunité de traduire ce grand roman de M. Jo et de donner ICI mon point de vue sur cet auteur. Ainsi, grâce à lui, la France devient un peu plus proche de la Corée et apprend à mieux connaître son histoire et sa culture. Un nouveau pont est jeté entre l’Orient et l’Occident qui ont tant à partager, car, comme le disait l’écrivain français Romain Rolland : « L’Europe et l’Asie sont les deux hémisphères de l’intelligence humaine. » Pour conclure, je me permets de répéter ce que j’ai dit devant la caméra de télévision de Arirang TV en décembre 2008 à propos de la traduction des œuvres de M. Jo, à savoir : « Pour faire une bonne traduction, il faut avant tout aimer le peuple tel qu’il est. » La traduction d’une œuvre aussi importante, tant par son contenu que par sa masse, si elle m’a pris beaucoup de temps, m’a aussi appris bien des choses que toute personne qui s’intéresse à la Corée devrait découvrir en lisant ce grand roman qui mérite d’être connu dans le monde entier.
Georges Ziegelmeyer
Article écrit pour le Korea Literature Translation Institute qui l’a publié dans sa revue de littérature coréenne _list
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