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L’aventure de l’homme-chien

L

Mr. Kim, homme légèrement simplet vivant en plein cœur de la cité séoulienne, n’a qu’une seule ambition : devenir fonctionnaire. Maintes fois recalé au concours de la fonction publique, voyant son rêve petit à petit lui échapper, il décide de jouer sa dernière carte : revenir au stade animal, et intégrer les forces de l’ordre en tant que chien policier. Aussi loufoque soit-elle, cette idée, que sa femme approuve sans rechigner (sans doute pense-t-elle qu’un chien intelligent vaut mieux qu’un mari bête), s’appuie sur un syllogisme d’une implacable logique : « Les chiens policiers sont des policiers, et les policiers font partie de la fonction publique. Donc les chiens policiers sont aussi des fonctionnaires ! Pourquoi je ne deviendrais pas chien policier moi aussi ? ». Envoyé en territoire nord-coréen au titre de « chien le plus intelligent de Corée », il subira un lavage de cerveau (pas grand chose à laver, faut bien le dire…) et sera renvoyé au Sud pour superviser un attentat. Tel est, cavalièrement esquissé, le scénario de Laventure de l’homme-chien de Yoon-sun Park, auteure dont le précédent album Sous l’eau, l’obscurité, édité chez Sarbacane, a déjà fait l’objet d’une chronique dans nos colonnes. Changement d’éditeur donc (Misma s’est substitué à Sarbacane), mais aussi et surtout changement esthétique et thématique. Alors que Sous l’eau, l’obscurité affichait un dessin en bichromie, uniquement fait de bleu et de blanc, en parfaite adéquation avec la satire acerbe, et quelque peu désespérée, que livrait la manhwaga de la société sud-coréenne, L’aventure de l’homme-chien propose des couleurs chatoyantes et un humour intelligemment distillé au fil des pages. La dimension comique de l’œuvre mérite d’ailleurs notre attention. Celle-ci repose en partie sur les nombreuses interventions du narrateur/auteur, lequel n’hésite pas à commenter l’action et à dialoguer – voire à se disputer ! – avec les personnages. En bafouant l’ordinaire distribution des rôles –des protagonistes évoluant sous l’autorité d’un narrateur omniscient, souvent extérieur à l’histoire – Yoon-sun Park fait sien un procédé narratif peu usité en bande dessinée (hélas !), mais qui, correctement maîtrisé, devient un ressort comique des plus efficaces. A cela s’ajoute évidemment le ton décalé adopté par l’auteur. Si l’idée de départ n’est pas très originale (la BD regorge de transformations en tous genres ou autres « processus d’animalisation »), son traitement est quant à lui plus atypique. Précisons. Un homme dont la morphologie ne laisse aucun doute sur sa nature d’être humain développe le flair et l’agilité de la race canine, adopte le langage des animaux et converse indifféremment avec pigeons, chats ou chiens. Loin de s’en étonner, les autres personnages – humains ou pas – font fi de cette curieuse métamorphose.  Pis, ils ne la remarquent même pas, la considèrent comme allant de soi. Mr.kim (où plutôt Lulu, de son nom de chien) est un chien comme les autres. Seul Opalou, chien concurrent jaloux de l’affection que son maître accorde à Lulu (ou Mr.kim, on ne sait plus…) et bien décidé à ne pas partager sa gamelle, tentera par tous les moyens de faire éclater la vérité. En vain, pour le reste du monde, les choses sont clairement posées :  Mr.Kim n’existe pas, il n’a d’ailleurs jamais existé, seul reste Lulu le chien. La bande dessinée, en tant qu’art visuel, rend d’autant plus manifeste l’absurdité de la situation. Elle l’exhibe insolemment par le biais des vignettes, l’impose à la vue avec cette naïveté dont elle a le secret. Le pouvoir monstratif de l’image fait son œuvre : le non-sens nous saute littéralement aux yeux  et devient norme aberrante. Si bien que le lecteur est constamment tiraillé entre ce qu’il voit, c’est-à-dire ce que la logique la plus élémentaire lui ordonne d’inférer (Mr. Kim est un homme qui se comporte tel un chien), et le postulat sur lequel repose l’univers fictionnel (Mr. Kim est un chien qui ressemble à un homme). Yoon-sun Park veut nous faire prendre des vessies pour des lanternes, et elle y réussit.


L’AVENTURE DE L’HOMME-CHIEN
DE YOON-SUN PARK
Misma, 120 pages, 14 €.

3 commentaires

  1. l’homme chien cest marrant cette idée d’hybridation des deux, ca va amuser les enfants

    Mélanie

  2. Blog animaux dit :

    Je l’ai déjà lu. J’ai adoré le livre.

  3. Lecque Rocky dit :

    tiens un livre à lire car c’est un thème que j’aime bien dessiner : http://lomelettetachee.blogspot.fr/2016/04/personnages-les-hommes-chiens.html