En dehors de nouvelles parues, notamment chez Picquier, Kim Young-ha a jusqu’à ce jour publié trois romans toujours chez Picquier : La mort à demi-mots (MDM) en 1998, Fleur noire (FN) en 2007 et le dernier L’empire des lumières (EL), 2010. Ces trois romans ont fait de Kim Young-ha un auteur attendu, représentant d’une génération intermédiaire (il est âgé de 42 ans) de la littérature coréenne, à mi-chemin entre les auteurs contemporains de la période de la dictature, et les auteurs beaucoup plus jeunes, nés à la fin de la dictature. Il est une passerelle entre des auteurs susceptibles de s’être inscrits dans la mémoire du pays et une très jeune génération thématiquement décomplexée et en recherche de nouveautés stylistiques.
Ces trois romans, très différents les uns des autres, présentent pourtant des similitudes dans la construction des personnages. Remarqué pour ses qualités imaginatives, pour la construction réticulaire de ses romans et pour sa propension à mêler l’ancien au nouveau, iKim Young-ha est un auteur qui, roman après roman, construit une voix, au travers de ses personnages. Et de cette voix, nous avons cherché à extirper des constantes, des récurrences thématiques, de celles qui indiquent une marque de fabrique, une obsession littéraire et ce qui est moins visible chez Kim Young-ha, par exemple, le rapport au politique pourtant bien présent.
KIM Young-ha illustre parfaitement le renouvellement des thèmes littéraires, dans une construction romanesque classique. L’originalité des romans est à rechercher dans la surprise qu’ils provoquent à chaque parution : un homme aide ses congénères à se suicider dans La mort à demi-mots, des Coréens émigrants au Mexique érigent une cité idéale dans Fleur Noire, tandis que dans L’empire des lumières, un espion nord-coréen est sommé brutalement par son gouvernement de rentrer au pays, sans explications. La nouvelle Paratonnerre est une autre illustration de cette recherche. Apparait dans ces trois romans publiés en France, la volonté de KIM Young-ha de construire des histoires fortes, avec des personnages auxquels on peut s’identifier, tous placés dans des situations dans lesquelles ils auront à exercer des choix stratégiques pour leur avenir.
Dans l’œuvre de Kim Young-ha, les personnages n’ont pas de temps à perdre. Pas seulement parce qu’ils sont soumis à la pression moderne du temps, mais parce qu’ils savent bien que toute hésitation, ergotage, mauvaise décision prise au mauvais moment risquent de les faire passer à côté d’un destin salvateur. Il vaudrait encore mieux commettre une erreur de choix plutôt que de passer à côté du sens de l’histoire, grande ou petite. Cette pression du temps qui passe les contraint à rechercher des satisfactions immédiates quel qu’en soit le prix. Ce plaisir à obtenir, outre sa fonction de satisfaction érotique, est aussi un moyen de résister au milieu de l’adversité. Une adversité contre laquelle il est inutile de lutter même si a contrario il n’est pas possible de la laisser agir sans s’insurger :
— Provoquer la colère des lecteurs, c’est ça ton objectif ?
— Non, mais je voudrais quand même réveiller l’indignation enfouie dans le cœur des gens.(MDM)
Le temps qui passe et contre lequel on ne peut rien a une deuxième conséquence sur ces personnages. L’énergie mise à trouver des solutions rapides les rend vulnérables au regard des jeux de pouvoir, d’où qu’ils viennent. Dans ce jeu à somme non nulle, ils sont sans maîtrise de leur destin, mus par des déterminants sociaux qui les contraignent à agir dans des espaces serrés, sans contrôle sur le mode d’emploi. Un peu à la manière des technologies dont l’auteur est friand, ces technologies qui vous donnent le sentiment d’être à l’origine des actions, quand ces mêmes actions ont été codifiées à l’avance par ceux dont le métier est d’inclure dans les logiciels l’illusion de la liberté d’usage.
Ces personnages ne sont pas cyniques mais n’ont pas non plus d’états d’âme, vont et viennent, réservent à un coin secret de leur intimité les aveux qui risqueraient de les mettre dans une position inconfortable, s’ils venaient à exprimer le trouble et l’émoi. Autre trait commun à ces personnages, nous ne savons rien où presque de ce qu’ils pensent, ressentent, éprouvent :
— (…) un homme cuirassé d’une indifférence que seul celui qui a connu une vie pénible est capable de se forger, un homme qui ne fait jamais passer les sentiments avant le reste. (EL)
En ancien étudiant de gestion, KIM Young-ha sait parfaitement établir la balance des comptes entre ce qui doit être dit ce qui doit être tu, tirant parti du conseil de Wittgenstein lorsqu’il proposait de taire ce qui ne pouvait être dit (rajoutant d’ailleurs de taire aussi ce qui peut être dit). Il sait aussi faire la différence entre le stock et le juste à temps. Mots, sentiments, passions, passé forment le stock des ressentis et aussi la matière d’écriture possible. L’anamnèse nécessaire au travail d’élucidation, cette dévoreuse d’énergie, ne hante pas l’auteur qui lui préfère la fraîcheur du juste-à-temps des émotions, la spontanéité des situations, l’imminence de la nécessité. Pudeur suprême, à ne jamais avoir recours au souvenir, au trouble passé, seul compte ce qui est devant, là-bas, au loin, à conquérir.
C’est sans doute la raison pour laquelle les livres de KIM Young-ha se ressemblent peu. Si les personnages ont comme caractéristiques communes de devoir se faire une place au soleil, en luttant contre des évènements imprévisibles, ou bien dans un enchaînement de causes sans lien avec ce qui précède (le retour au pays dans l’Empire des lumières, l’exploitation des migrants coréens au Mexique…), ils le font dans la pudeur, le silence, sans rien exposer de leur fonctionnement mental. Ils sont les personnages de l’immédiateté.
Une troisième caractéristique commune apparaît : le développement de la consommation est en Corée comme dans les autres pays, totalement et solidairement enchaînée à la montée de l’individualisme. Entre autres conséquences, sur le plan esthétique et littéraire, on voit apparaître de nouveaux thèmes de création autant que de nouvelles recherches stylistiques (KM, N° 5 & 6). Dans la Corée confucianiste, cela fait l’effet d’une bombe et les premières dissensions générationnelles se font jour.
« La mort à demi-mots » paraît en 1996, un an après l’effondrement du bâtiment de Sampoong, l’une des plus grandes galeries marchandes de Séoul, l’un des symboles économiques de la réussite du pays. Près de 500 morts et 1000 blessés vont lourdement grever le rêve coréen de félicité par la consommation. Pour bon nombre d’auteurs, cet événement tragique joue comme un puissant révélateur, le désenchantement et le début de la fin d’un modèle communautaire vont suivre. Le titre de ce premier roman traduit littéralement par « j’ai le droit de me détruire moi-même » revendique une fin plus autonome que celle de mourir sous les parpaings du magasin Sampoong. La recherche effrénée du bonheur dans la consommation est dénoncée en même temps que les conséquences que les plus forts font subir aux plus fragiles.
— Tu sais combien de gens se voient privés de leur famille et de leur maison, de nos jours ? Entre autres à cause des emprunts qu’ils ne peuvent pas rembourser (…). Pourquoi est-ce que personne ne prend les armes ?
Du point de vue du focus qu’il opère sur les situations singulières et les personnages, et la façon dont ils insèrent ces destins et ces personnages dans des contextes historiques, permet à KIM Young-ha des incursions dans la dimension politique de la fiction même si cette dimension est traitée légèrement, à peine esquissée, mais présente tout de même, comme dans Fleur noire ou dansL’empire des lumières. S’il n’aborde pas de front les questions politiques, à l’instar de ses aînés, il n’omet jamais de montrer au travers de la vie de ses personnages, les affres de la ville moderne, l’urbanisation galopante, les difficultés de communication… Il rend compte des méfaits sans jamais en attribuer une cause, sans juger, laissant au lecteur le soin de se faire une opinion.
— Ce qui m’intéresse, c’est de faire sortir les désirs que les individus ont refoulés et enfouis au plus profond de leur inconscient .
Mais l’optimisme n’est tout de même pas au rendez-vous :
– Moi aussi, j’ai cru longtemps que je pouvais sauver le monde. Et maintenant, je me rends compte que je ne suis même pas capable de maîtriser mes envies de sucreries (EL).
Et encore plus assertif :
— Personne ne peut sauver les autres (MDM).
Cet auteur que l’on interroge régulièrement sur son appartenance ou non au post-modernisme, sur ses goûts pour la peinture européenne, sur sa volonté de ne jamais se séparer de l’Histoire est un auteur rarement interrogé sur la dimension politique de sa production. Kim Young-ha est habituellement classé dans les auteurs de la nouvelle génération, de ceux qui ne se sentent aucun compte à rendre à la tradition littéraire de Corée. Pas de dette envers l’histoire, pas de filiation très affichée :
— Ça parle des années 80, l’époque où j’étais étudiant.
— Si c’est ça (…) laisse tomber, c’est un thème trop rabâché ((EL).
Les classements générationnels d’auteurs présentent les mêmes difficultés que les dates de péremption des produits alimentaires. Que se passe t-il le jour d’après ? Considéré comme un auteur du courant individualiste, Kim Young-ha est pourtant plus proche de la génération des années 60 que celle des années 80-90. La littérature coréenne est longtemps restée sous influence de l’histoire du pays. La tradition confucéenne a donné naissance à un communautarisme dans lequel l’harmonie des relations dépend du respect de la place de chacun, des positions sociales respectives et de la prééminence de la communauté sur l’individu. Ces liens communautaires comme garantie de la survie du pays après les évènements malheureux (partition, guerre, dictatures) commencent à s’infléchir à partir des années 80 et 90. Ces années dans lesquelles les Coréens obtiennent la démocratie sont aussi celles où les efforts effectués au plan économique commencent à porter leurs fruits ; la consommation ainsi que le niveau de vie s’élèvent. Pour être plus juste, il vaudrait mieux dire qu’en Corée comme ailleurs, ce sont les classes moyennes qui vont en profiter, les plus défavorisés n’échappant pas à la règle selon laquelle dans un pays qui s’enrichit, les défavorisés restent défavorisés.
Le thème de la rédemption tient une place importante puisqu’on le retrouve dans les trois romans traduits en français. En auteur complètement inséré dans son époque, Kil Young-ha sait trop bien que si lutter est épuisant, la connaissance de l’intérieur des procédés offre des marges de manœuvre bien plus importantes et bien plus intéressantes. Kim Young-ha se défend d’écrire en sociologue. Mais, – dette aux sciences de gestion ?- il connaît parfaitement l’abstraction et la capacité organisatoire des instruments que se donnent les hommes pour former une communauté. Le pouvoir appartient à ceux qui maîtrisent les instruments de gestion, seuls capable de formater et reproduire à l’infini les conditions mêmes de notre aliénation. Nul cynisme chez KIM Young-ha mais nulle compassion non plus. Le pouvoir appartient à ceux qui se servent le mieux des outils. Il reste aux plus démunis les capacités de l’imagination pour fonder des règles dans lesquelles ils pourront se reconnaître. Peut-être même, recommande t-il de ne surtout pas jouer si on ne maîtrisent pas les règles du jeu. DansFleur noire, avant d’arriver à une forme de félicité, les migrants paieront cher leur inculture. Ils ne connaissent ni le Mexique, ni le travail dans la plantation, ni le sort de l’exilé. Dans L’empire des lumières, c’est l’oubli qu’un jour il pourrait être rappelé par son pays d’origine qui transforme le personnage principal en bête auto-traquée.
KIM Young-ha sait qu’il ne sert à rien de montrer les enjeux ou les dangers d’une situation. Il oblige ses personnages à suivre le chemin de la rédemption, voie par laquelle il faut passer sans bien comprendre ce qui arrive à chacune des victimes. Même le cruel Velasquez dans « Fleur noire » peut nous tirer les larmes des yeux, tant pris au piège de sa propre névrose, il cherche maladroitement dans la prière les termes de sa propre expiation. A la manière du technologue, l’auteur fait aller ses personnages d’impasse en impasse, de repentirs en absolutions, avant de trouver une solution, la technologie trouve de toute façon toujours une solution. Tout comme pour ses personnages, son lecteur doit passer par une série d’épreuves, doit cheminer au cœur d’une narration dont le maître est grand, et qui jusqu’au bout va maintenir le suspense, comme la vie maintient le fil fragile de l’imprévu. KIM Young-ha n’assure rien ni personne. Il ne garantit aucun résultat, semble vouloir indiquer que si des issues sont possibles elles ne seront pas aisées à atteindre.
Et cet auteur sans certitude, peu enclin à l’introspection, mesurant l’ampleur des confidences qu’il y aurait à faire, et sans doute terrassé d’avance par la tâche, se tait devant des personnages diserts, peu avares d’action, même s’ils ne savent pas toujours au nom de quoi ils agissent. Ainsi les personnages de KIM Young-ha vont, sans certitudes aucunes, souvent soumis à des défaillances de la mémoire, retenant peu les leçons de la vie et ne se présentant jamais comme pourvoyeurs de solutions ni comme donneurs de leçons :
— J’ai enfoui dans mon cœur ce que j’avais partagé avec elle et j’ai pris l’avion pour Vienne (MDM).
Oublier ce qui vient d’être dit, intérioriser ce qui vient d’être fait pour se présenter, vierge de toute mémoire et de tout sentiment, au prochain événement, à la prochaine rencontre. Ces personnages traversent l’histoire se sachant l’enjeu de pouvoirs et de forces qui les dépassent, possédant rarement la clé qui ouvrirait la porte de leur destin. Souvent, comme dans Fleur noire, ils sont dépossédés de leur propre culture, comme lorsque l’employeur des migrants brisent les objets symboliques d’un kutchamanique, les obligeant à cesser leurs pratiques « sataniques ». Ils semblent s’en remettre à autrui, à des forces plus fortes qu’elles-mêmes. C’est dans ce brouillard généralisé (un cauchemar climatisé aurait dit Henry Miller) qu’il leur fait avancer et se forger un mémento de vie, faute d’en être né muni.
Questionné sur l’identité de son personnage principal dans L’empire des lumières, Fleur noire, les migrants coréens cherchent une issue collective et développent entre eux des liens forts (même si certains migrants cherchent une issue personnelle à la dureté de la situation). Ils iront ainsi jusqu’à créer une société idéale, ce qui devrait être l’objectif numéro de tout homme politique. Cette société idéale Sindaehan (traduit par La nouvelle Corée) est en fait la revanche revendiquée sur la perte de Joseon (le nom de la Corée jusqu’en 1910). Sindehan est un nom en miroir à celui donné par le roi Kojong lorsqu’il fut contraint de rebaptiser Joseon en Daehantcheguk (Le grand empire des Han). Kim Young-ha affirmait avoir un penchant pour ce type de personnage, Kiryeong, l’espion venu du nord et qui pour se fondre dans la société de la Corée du sud, s’est rendu transparent à tout et à lui-même pour commencer. Tout désir effacé et toute contradiction cachée, Kiryeong accomplit sa mission à la lettre. Cet effacement rendu nécessaire par la mission elle-même est aussi, peut-être, favorisé par le lustre et le chatoiement du capitalisme du sud, dont on sait que l’un de ses piliers, la consommation, repose justement sur les personnalités qui s’identifient le plus facilement au modèle dominant. KIM Young-ha postule que le meilleur observateur d’une société est un observateur distancié, un observateur qui ferait de la non-implication la condition nécessaire et suffisante de l’objectivité. Cette position en surplomb serait, selon l’auteur, la mieux à même d’observer. Cette revendication d’objectivité, si elle est légitime pour le chercheur est plus étrange chez le romancier, à qui, en général, tout est permis. Ainsi, et même s’il s’en défend, KIM Young-ha adopte plus qu’il n’y paraît la position du sociologue, justement celle dont il se défend. Et du sociologue au politique, il n’y a qu’un pas aisé à franchir. Kim Young-ha écrivain politique ? Pour téméraire qu’elle soit, l’hypothèse peut être poursuivie. A regarder de près, les trois romans ne s’absolvent jamais d’une vision critique de la société : l’urbanisation catastrophique pour les relations sociales, l’argent roi, la ville-diaspora, la difficile communication entre les êtres, etc. Certes, la critique ne suffit à forger une posture politique, et il faut chercher du côté de l’analyse ou de la proposition les vecteurs possibles de cette posture. Mais Kim Young-ha est romancier. Il sait éviter le piège de la démonsration pour esquisser à petites touches les solutions que ses personnages mettent en œuvre. Si Kim Young-ha revendique d’appartenir à cette génération plus encline à trouver des solutions dans l’individu que dans le collectif. Il avoue sans détours se sentir plus à l’aise lorsqu’il est devant une cohorte de personnages, perdus, dans des identités flottantes, à la recherche d’eux-mêmes plus que des autres. Mais si ces personnages sont seuls, ils ne sont pas isolés. Ils forment la grande chaîne des solitaires ensemble. Revendiquer la peinture d’une communauté est déjà en soi, un acte politique. Dans
Si dans cette société idéale, dans cette nouvelle Corée que veulent bâtir 40 migrants au Guatemala, surgissent dès le début les mêmes rapports de pouvoir et de domination, il n’en demeure pas moins que :
— Si ça ne change rien, ça ne peut pas faire de mal de fonder un pays (FN).
A ce titre, les migrants veulent garder la mémoire de ce qu’ils font dans la jungle car :
— (…) le pays ne durera pas toujours.
Le personnage principal de La mort à demi-mots possède lui tous les attributs, tous les capitaux auxquels faisaient référence Bourdieu : culture, argent, milieu social favorisé et dense. C’est pourtant dans la dépendance aux relations qu’il tombe, où sous couvert d’aider les autres à se suicider, il construit sa propre identité au milieu des autres, parfois contre les autres, conscient de sa propre faiblesse. Pas de déclaration politique mais une ode à la peinture, à l’écriture, au voyage, comme issues à l’impéritie des temps.
En ne se laissant pas arraisonner à un courant, KIM Young-ha adopte une position qui favorise le libre-arbitre, à l’inverse de nombre de ses aînés, adoptant ceci, rejetant cela. Position opportuniste ? Position réaliste ? Kim Young-ha n’oublie jamais de le faire et même s’il peut paraître irritant de ne pas disposer d’une vision globale, il n’en demeure pas moins intéressant de voir que malgré sa revendication de libre appartenance, la politique n’est pas exclue de la littérature de Kim Young-ha.
Si Kim Young-ha ne rejette pas l’idée d’être un porte-parole de sa génération, il le fait à partir d’une position d’auteur excentrée, presque marginale, où ses personnages sont déracinés, sans mémoire, sans pouvoir autre que celui de se situer lorsque des leviers qui les emprisonnent sont actionnés. C’est le cas de Kiryeong dans L’empire des lumières, le cas des migrants dans Fleur Noire, et quand l’identité des personnages est bien établie, leur souhait est de la voir disparaître, comme dans La mort à demi-mots.
Avec Kim Young-ha nous avons le meilleur représentant de cette génération qui peint à touches légères la société contemporaine, qui esquisse des critiques feutrées mais réelles, départit de toute position revendicatrice, mais contrairement aux classements habituels qui font de cette génération la génération de l’individualisme, Kim Young-ha explore d’autres piste qui si elles partent toujours de l’individu rejoignent toutes la société, avec toujours au bout, la possibilité de résoudre des situations bloquées.
Si l’écriture de Kim Young-ha est très maîtrisée, elle agit pourtant autour de personnages dont le flottement identitaire interdit tout choix car tout choix est arbitraire ou toute décision pourrait devenir trahison. Perdus dans l’abondance des destinées possibles, les personnages sont souvent en quête de l’opportunité qui saura décider à leur place.
Le paradoxe est d’ailleurs parfaitement maitrisé car cette incertitude des personnages, Kim Young-ha l’entoure d’une documentation souvent abondante. On sent chez l’auteur le souci du moindre détail, la véracité des plans historiques ou scientifiques (cf la nouvelle Le paratonnerre). Cette documentation créée en arrière-plan un décor fixe, équilibré, irréprochable qui autorise la fiction à construire des personnages qui pourront faire preuve de versatilité. Faiblement arrimés au réel, ils nous renvoient paradoxalement à la vie.
L’œuvre de Kim Young-ha n’est certes pas optimiste, le découragement est souvent au bout du chapitre. Mais l’espérance reste de mise, logée dans les interstices du plaisir, dans l’inclination humaine à puiser dans chaque instant et dans chaque geste une raison supplémentaire de trouver beau le jour qui vient.
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