Cet épais roman traduit par Philippe Thiébault, est centré autour d’une période de la vie de Tasan, penseur coréen du XVIIIe siècle, lettré confucianiste, homme de devoir et de et de sciences, poète, passionné par les réformes que son pays doit entreprendre, bénéficiant de l’appui initial du roi Cheonjo, avant de subir l’exil par le descendant de Cheonjo, le roi Sunjo. Depuis cet exil dans la ville de Kangjin, Tasan va poursuivre jusqu’à sa mort l’étude des grands classiques chinois et la rédaction d’ouvrages célèbres, qui feront l’admiration de penseurs chinois et japonais. Même refaite pour les besoins du tourisme local, sa maison au toit de chaume, haut perchée, respire encore quelques centaines d’années après la paix. A quelques pas de la maison, un promontoire où il aimait sans doute se reposer ou méditer, domine la mer.
Déchu, pauvre et vivant tout d’abord dans un logement insalubre, Tasan mène une vie de paysan sans jamais se plaindre, poursuit son travail. Il devra à ses disciples de déménager dans une maison au confort acceptable, à la sortie du village. Tasan travaille sans se soucier ni de sa santé ni de son confort, parce qu’il est attelé à une tâche incommensurable de modernisation de la pensée coréenne, enserrée dans un carcan idéologique inspiré par le néoconfucianisme de Zhu Xi.
Précisons d’emblée que Rencontre n’est pas un roman au sens conventionnel où nous l’entendons en Occident. Le lecteur, habitué à la fiction que recouvre le terme de roman risque d’être désarçonné, tant par le type de narration que par le style de Han Moo-sook. Nous sommes en effet, plus proches de la biographie et de l’essai, parfois même de l’ouvrage scientifique que du roman classique recouvrant tous les registres de la fiction.
Han Moo-sook, décédée en 1993, a entrepris un véritable travail d’historien, vérifiant sources et indices, combinant documentation savante et œuvre d’imagination. La lecture acquitte son tribut à la luxuriance des détails, des situations et des personnages. La découverte de cette période de l’histoire combinée à la pensée coréenne peut donner au lecteur le sentiment qu’il est devant un texte hybride, où fiction, poésie, philosophie se combinent dans un style qui, conditionné par la matière même de l’ouvrage, semble comme s’effacer devant la grandeur du personnage qu’il soutient. Les lieux les dates, les personnages sont ici restitués dans un cadre inhabituel, le cadre d’une histoire que le grand public connaît très peu. La fluidité de la lecture doit céder devant la richesse de la matière.
Rencontre raconte l’histoire de multiples rencontres faites au cours d’une période d’environ une centaine d’années, approximativement de 1750 à 1850. Ces rencontres entre personnages sont aussi la rencontre entre les idées de l’Orient et celles de l’Occident, des intérêts des uns et des autres ou bien des uns contre les autres. Le roman est ici le cadre d’une convergence des périodes de l’histoire, au moment où la Corée découvre les sciences de l’occident et via la Chine et les voyageurs, une religion nouvelle, fondée sur un Dieu Créateur, à l’origine de tout, le christianisme. Cette convergence intervient à un moment de foisonnement confucéen légitimé depuis le XVe siècle comme système idéologique, très ordonnancé, autoritaire, où la dérogation aux rites peut entrainer, pour celui qui fait y défaut, une simple réprobation voire pire.
Cette période célèbre deux évènements d’importance, le Sirhak, mouvement qui se fixe comme ambition l’étude pratique, autrement dit la compréhension des sciences occidentales et l’apport qu’elles peuvent représenter dans la modernisation de la Corée ; la percée de l’Eglise catholique, qui contribue à fonder une nouvelle vision de l’être humain et conséquence inévitable, un nouveau regard sur l’organisation humaine, via l’Etat. Rencontre est donc l’histoire de multiples rencontres, plus ou moins heureuses, plus ou moins difficiles. Le roman est aussi une fresque historique qui montre la vie, la pensée, l’espoir des gens de peu, dans une période où la pauvreté foisonne à côté de richesses abondantes et contenues dans un nombre restreint de mains.
Rencontre est donc aussi un roman religieux au sens où y règne l’espoir, la compassion, où le sacrifice côtoie la pureté des sentiments, l’engagement, quelle que soit sa religion d’appartenance, comme toujours dans ce pays où le syncrétisme réunit sans difficultés , le bouddhisme, le chamanisme, le confucianisme et le catholicisme. Rencontre fourmille de références historiques, d’éléments sur la vie de tous les jours. Si le lecteur ne se laisse pas rebuter par le fourmillement d’informations, de situations de personnages et de clés historiques, il découvrira une période passionnante de la dynastie Joseon.
RENCONTRE
HAN MOO-SOOK
Traduit du coréen par Philippe THIÉBAULT
Autres Temps, 489 pages.
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