Un livre inhabituel, dans un genre en verve, le polar historique, construit avec les contraintes spécifiques de la littérature policière. Un polar d’époque, l’histoire se déroule au milieu de la dynastie Joseon, sous le règne du roi Cheongjo, période de l’histoire coréenne marquée par une configuration paradoxale : une période qui ressemble à tant d’autres avec ses, luttes claniques pour s’assurer ou conserver le pouvoir, peuple appauvri par une économie de subsistance, incapacité de la cour à régler les problèmes structurels du pays, nobles et courtisans occupés à s’enrichir ; à l’autre bout du paradoxe, un siècle florissant, celui du roi Cheongjo (1776-1800) et du commerce urbain, où les lettrés écartés du pouvoir tentent de renouveler le corps doctrinaire susceptible de remplacer le neo-confucianisme, établissent des synthèses de disciplines scientifiques empruntées à l’occident ou à la Chine. C’est aussi la période où le christianisme venu de la Chine tente de percer en Corée et donnera lieu à quelques autodafés. La situation du pays est très instable et la vie intellectuelle de l’époque est consacrée à l’étude et à l’apparition de mouvements intellectuels destinés à repenser la pensée, en quelque sorte. La question de savoir si sont en cause le confucianisme ou bien une lecture coréenne trop orthodoxe du confucianisme est une question légitime. L’auteur n’hésite pas à accuser les lettrés de se satisfaire d’une lecture des Classiques et invoque la nécessité d’un confucianisme en prise avec la réalité et le travail notamment. D’autant que des savoirs nouveaux, sous l’impulsion de multiples voyages en Chine, ambassadeurs ou lettrés allant quêter au-delà des frontières les signes du renouveau intellectuel. Nombre de lettrés, empêchés d’exercer leur ministère auprès de la Cour vont se retirer dans les campagnes et travailler à l’édification d’une pensée nouvelle, dans la perspective de la voir un jour se transformer en réformes dont le pays a besoin.
Dans Les romans meurtriers, cet arrière-plan historique constitue à la fois le décor et l’enjeu du roman. Un écrivain, accusé d’être un tueur en série, est exécuté en place publique. Des lettrés doutant de sa culpabilité vont convaincre un militaire de la Haute Cour, celui-là même qui a procédé à l’exécution, de reprendre l’enquête depuis le début. au travers de la réhabilitation de l’écrivain exécuté, avec l’arrière-pensée de revenir un jour aux affaires. Cette intrigue, au début bien mince, va se trouver au fur et à mesure traversée d’enjeux nouveaux, et de rebondissements en rebondissements, parvenir à une fin inédite. Elle sera le prétexte à une amitié naissante, entre ce militaire et un des lettrés.
Cette enquête menée conjointement par un militaire et des lettrés, les deux piliers du concours national d’accès à la fonction publique, fournit à l’auteur le portrait de l’époque. La Corée, toujours aussi repliée sur elle-même, est l’objet de multiples sollicitations. Au plan extérieur, après l’échec de la première christianisation de 1592, c’est au tour du diocèse de Pékin de favoriser l’introduction de la religion. Via son cheval de Troie séculier, la religion, l’occident tente ses premières approches du royaume ermite. La Corée, qui n’en finit pas de payer sa dette financière et symbolique à son modèle de toujours la Chine, envoie régulièrement des ambassadeurs en Chine qui reviennent les malles pleines de livres nouveaux, de visions nouvelles, d’inventions. Botanique, géographie, poésie, entre autres, vont être réexaminés dans la perspective de leur trouver une voie spécifiquement coréenne.
La trame de ce roman est d’une facture classique. Chaque indice élucidé conduit à un autre indice, qui modifie l’orientation de l’enquête, au risque de lasser parfois quand les artifices de l’intrigue deviennent par trop visibles. Mais comme souvent, le plaisir est dans l’ailleurs de l’intrigue. Dans les digressions de l’auteur, prétexte à exhumer les enjeux de l’époque, époque qui va constituer le marchepied de l’ouverture forcée à l’occident, quelques 60 ans plus tard. Assez inhabituel dans la littérature coréenne, peu encline à la psychologie des personnages ou des situations, Les romans meurtriers n’en fait pas l’économie. Particulièrement les sentiments du narrateur, qui retrace 30 ans après, l’histoire telle qu’elle s’est déroulée, avec une mise en parallèle de l’ennquête, de ses sentiments pour la soeur de l’écrivain exécuté et son amitié avec l’enquêteur militaire.
C’est un roman riche, parfois touffu, n’économise ni personnages ni situations ni sujets de réflexion. L’auteur n’hésite pas à comparer peinture asiatique et peinture occidentale, à nous faire par de sa conception de la littérature, de l’influence du roman sur le lecteur. Autant de sujets qui peuvent apparaître comme des faiblesses du roman mais qui réjouiront le lecteur avide de comprendre la culture coréenne à la période historique concernée.
LES ROMANS MEURTRIERS
KIM TAK-HWAN
Traduit du coréen par LIM Yeong-hee et Françoise NAGEL
Philippe Picquier, 520 pages, 10.7 €
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