Il faut avoir au moins une fois emprunté la rue (!) Jong-no, ce long boulevard qui traverse le centre de Séoul et marché derrière les fleurs, tantôt azalées tantôt camélias, pour sentir combien, à leurs épaules dénudées, le vent emporte avec elles nos illusions autant que nos espérances.
Il faut entendre à trois heures du matin dans un temple de Corée, le bruit de la rivière réelle ou imaginaire, le clapotis de l’eau qui serpente dans les ramures dressées par l’humidité du soir ; il faut entendre la montagne se vider et les laisser couler vers la lointaine vallée de Haeinsa, une eau si pure qu’il était autrefois nul besoin de la couper avec du thé, avant de la boire.
Qui ne s’est pas un jour confronté aux onomatopées, si envahissantes dans la littérature coréenne, au point que, sans cesse, l’interrogation surgit : faut-il les traduire, les convertir, les oublier ? Qui n’a pas entendu ou lu, au moins une fois, le magnifique Cheolseok ! qui évoque autant le ressac d’une vague contre le flanc de la montagne, que la gifle qui secoue la joue de l’enfant turbulent. La langue coréenne, plus précisément la culture coréenne réhabilite l’onomatopée, si pénible dans la langue française en ce qu’elle fait perdre du temps et noie la compréhension dans un univers sonore que le goût de la précision dérange. En coréen, l’onomatopée est partie intégrante du texte. Quoi ! vous vous êtes endormi tandis qu’une pluie de printemps hududduk tombait ? vous n’avez jamais entendu un érable qui se déshabille uh-ji-jikkhun ? Le tremble ne vous a jamais chuchoté sallang sal-lang ? Allez, avouez, vous n’êtes jamais allé en Corée !
Chez Oh Sae-young, l’espoir est tout en haut du chemin. Il faut donc le gravir, quel qu’en soit le coût. Dans le poème L’impasse, le renoncement offre la garantie de pouvoir devenir autre. Le changement par la perte programmée. On y retrouve là les principes majeurs du bouddhisme, bien entendu, mais aussi la clé possible d’une vie sans trop de tourments, à défaut de paisible, dans les sociétés contemporaines dominées par les actes marchands. Mais cet espoir ne naît pas des multiples possibilités que le hasard nous offre, au gré des surprises ou des accidents de parcours, il ne naît pas de l’imprévu mais de ce qui est fait, de ce qui devait être accompli seule garantie de la paix de l’âme.
Oh Sae-young est natif du Jeollado, terre de lettrés, autrefois terre d’exil pour ceux qui n’avaient pas ou n’avaient plus les faveurs de la cour royale. Région agricole aussi, en prise aux dures lois de la nature. En Corée, le pays natal (interpréter ici : la région où on est né) évoque toujours un sentiment dominant, qui compose le han, ce sentiment d’incomplétude si cher aux Coréens :
Sous la froide clarté de la lune,
Une falaise s’élève,
Qui aurait osé affronter
La foi inébranlable
Avec laquelle elle soutient le firmament ?
Mais celui qui n’a nul endroit où revenir
Finira par s’effondrer.
(Retour au pays natal, p64)
Il faut avoir assisté ou même mieux participé aux grandes migrations du week-end ou bien aux fêtes annuelles Seollal ou Chuseok, pour comprendre cette importance du pays natal, du lieu ou on doit y venir, y revenir et sans doute y habiter un jour la tombe érigée dans un coin de montagne.
La poésie de Oh Sae-young, de facture classique, parfois académique, qui peine quelquefois à quitter l’inspiration des canons bouddhistes, évoque malgré cela la paisibilité d’une prière. Elle ne nie rien de ce qui éloigne tout être de la difficulté de l’instant, sans cesse renouvelée, de l’effort maintes fois remis sur le métier. Et au bout de tant d’efforts, nulle délivrance autre que la certitude du devoir accompli, du départ programmé :
Si tu es lasse de la tristesse mon amour,
Repose-toi à l’ombre fraiche des pins
Et regarde le nuage blanc passer en silence.
Même le ruisseau qui pleure, las de ses passions violentes,
Doit un jour, de toute façon, partir.
(Tôt ou tard, un jour, p49)
Signalons le beau travail d’édition de ce petit volume, dans lequel on retrouve une intéressante présentation de l’auteur, un glossaire qui aide à comprendre la poésie de Oh Sae-young et un choix de poèmes hors recueil, permettant de situer le travail de cet auteur au gré de ses publications.[box]Songe de la falaise de Oh Sae-young-Editions Circé-2011[/box]