Séoul, une ville qui ne nous laisse d’autres choix que de nous laisser emprisonner dans ce tourbillon détruisant tout sur son passage et qui, semble ne jamais perdre de sa puissance. Des destructions qui favorisent des changements récurrents synonymes de réussites pour les uns, et désorganisation pour les autres. Un sentiment nouveau fait alors irruption dans la vie des coréens : la « peur ». Celle d’une perte de repères qui jusque-là régissaient leur vie.
Imaginez un seul instant qu’un soir vous décidez d’aller manger dans votre restaurant préféré et qu’après de nombreux aller-retour, vous vous rendez-compte qu’il a tout simplement disparu et qu’il a été remplacé par un autre. L’angoisse et la peur qui vous aura habité lors de la recherche de ce restaurant sera suivi d’une multitude de questions et finira logiquement -ou pas- à vous faire accepter cette réalité dans laquelle il vous faudra vous adapter et continuer à vivre.
Ah ! Revoilà ces fameuses questions existentielles et définitivement universelles ! Qui suis-je ? Quel chemin devrais-je suivre ? Où est ma place ?
À travers cette anthologie, les différents auteurs par le biais des protagonistes ont recourt à différents procédés tels qu’entremêler et démêler la réalité à l’imagination, faire des retours dans le passé pour essayer de comprendre le présent, reconstituer des évènements passés pour les revivre par procuration ou par reconstitution. De nombreuses formules et combinaisons dans le seul but de les emmener vers l’individualisme.
La nouvelle Cours, papa ! de Kim Ae-ran en est une parfaite illustration. L’inexistence du socle familial dans la vie de la narratrice l’a conduira à rechercher l’équilibre (source de l’harmonie). Une poursuite assez similaire au personnage de J. dans la nouvelle J’ai acheté des ballons de Jo Kyung-ran. J. sombre dans un monde d’angoisse après le décès de son père. Des situations nouvelles qui poussent la nouvelle génération à trouver ailleurs que dans le confucianisme, la clé d’une identité sociale.
Cours, papa ! commence par un retour dans le passé où la narratrice raconte sous la forme de la reconstitution sa douloureuse venue au monde. Le lecteur s’interroge alors, l’absence du père est-elle la véritable raison de cette perte de repères ou est-ce juste une excuse déguisée pour lui jeter la faute ? Car aux dires de la narratrice, le problème de l’intégration dans ce « nouveau » monde est posé dès sa naissance. (Le lecteur retrouvera également ce sujet chez Jo Kyung-ran, qui parle aussi de solitude dès la naissance p.189) Cette nativité paraît aussi douloureuse (pour ne pas dire plus) que cette vie sans patriarche qui lui a permis de chercher son identité et de la trouver en acceptant sa situation. Cette image éméchée du père qui va à l’encontre de celle imposée par la société, fait naître chez le lecteur un sentiment de compassion. Un père-enfant à qui on pardonne son incapacité à assumer ses responsabilités (en outre démis de ses fonctions) et de n’être qu’un simple être humain.
Mais jamais, chose étrange, je n’avais ajouté de lunettes de soleil à cette tenue. Je n’avais pas un seul instant envisagé que cet être, si médiocre et pitoyable qu’il soit, puisse lui aussi souffrir ou aimer, comme tout le monde.
p.23-24
Tout au long de la nouvelle, l’auteur qui cache son imagination enfantine et débordante derrière la voix de la narratrice, choisi le ton dérisoire et l’humour noir pour éviter toute souffrance mal placée à son personnage et par la même occasion éviter au lecteur un sentiment de lassitude où le pathos prendrait le dessus.
Dans J’ai acheté des ballons, la narratrice âgée de 37 ans, semble vivre une vie par procuration où la philosophie de Nietzsche est une boîte à réponses à toutes les questions qu’elle peut se poser.
De tous les auteurs que je connais, le plus remarquable est Nietzsche. Chez lui, je trouve des réponses à toutes les questions que je me pose sur la vie.
p.183
Du moins, jusqu’à sa rencontre avec ce fameux J. pour qui la philosophie de Nietzsche semble faire défaut. En se fiant au background de ces deux personnes, rien ne nous laissait à croire qu’ils verraient en l’autre, une vérité tant attendue ; un but similaire à atteindre.
Alors j’ai réfléchi intensément aux questions que j’avais lancées en direction de J. mais qui m’étaient revenues, comme des flèches. Quand la peur s’en irait…
p.220
À travers ces huit nouvelles, on retrouve l’idée que vivre dans la solitude n’est pas une fin en soi, mais un passage obligé pour se délier de la peur.
Mais la peur s’en ira t-elle ?
La réponse se trouve peut-être dans cette anthologie, mais le lecteur devra rester sur ses gardes. Qui sait, il finira peut-être lui aussi à devenir protagoniste et à ne plus faire la différence entre son imagination et celle des protagonistes.