Manhwa & Webcomics

Le manhwa en France : état des lieux

manhwa-etat-des-lieuxLes tentatives de promotion du manhwa n’ont cependant pas toujours été, loin s’en faut, synonyme de succès, comme l’atteste l’espérance de vie extrêmement courte de certaines maisons d’édition: Tokebi a fermé ses portes en 2008 avant de devenir les éphémères éditions Samji, disparues en 2011. Le site internet de Booken manga, qui malgré son nom édite essentiellement du manhwa, n’a donné aucun signe de vie depuis juillet 2012. La collection Hanguk de Casterman n’affiche plus de nouveautés depuis 2008[1]. Cela posé, faut-il en conclure qu’il n’existe aucune place pour le manhwa, que les lecteurs français, dont certains biberonnés au manga, sont complètement insensibles aux charmes de la BD coréenne ? Réponse : non. A preuve, le onzième et ultime tome du Bandit généreux, fresque de plus 6000 pages relatant les aventures d’un « robin des bois coréen », est sur le point de sortir chez Paquet. Clair de Lune, dont nous avons chroniqué ici-même l’un des albums, a gagné les faveurs d’un certain public grâce à des œuvres au scénario peu ordinaire (par exemple l’œuvre posthume Tigre de Ahn Soo-Gil, dont le premier tome est en rupture de stock depuis plusieurs mois, est un vibrant hommage au félin qui donne son nom à l’album ; on retiendra également Geonbae, un manhwa sur les alcools coréens). Les éditions Kwari, enfin, en activité depuis 2012, se sont lancées dans « l’aventure manhwa » en transposant sur papier des webtoons (nom donné aux manhwas crées et diffusés sur Internet). Ainsi, L’appart 305 ou encore Ce que j’ai à te dire, deux albums qui figuraient dans le catalogue de lancement de Kwari, sont à l’origine des œuvres numériques uniquement consultables sur le web. Nous reviendrons plus tard sur l’intérêt qu’accordent certains éditeurs au Webtoon (Kwari, comme on vient de le voir, mais aussi Clair de Lune), et son influence sur les auteurs français et américains de BD en ligne. Sans prétendre à l’exhaustivité, rappelons également que certains éditeurs intègrent à l’occasion des manhwakas dans leur catalogue : Atrabile avec Woo-Lee et moi de Sim Heung-Ah et Quitter la ville de Kim-Su Bak ; FRMK, un collectif d’auteurs à qui l’on doit un album expérimental des plus déstabilisants, Les Jumeaux Jung-Hyoun Lee ; FLBLB et les ouvrages de Oh Yeong Jin ; l’œuvre de Byun Byung-jun disponible chez Kana ; 3 grammes de Jisue Shin, chez Cambourakis ; ou encore Sous l’eau l’obscurité et Les aventures de l’homme-chien de Yoon-un Park, respectivement sorti chez Sarbacane et Misma. Si cette liste pourrait certes accueillir d’autres membres (Les éditions Paquet etc.), elle prouve que le manhwa intéresse autant l’édition indépendante-alternative (FRMK), que d’aucuns qualifient parfois, à tort, d’élitiste, que les maisons s’illustrant davantage dans le mainstream (Kana ayant à son actif des productions grand public extrêmement populaires, à l’image de Naruto). Tirer au clair l’état de santé du manhwa en France est donc une tâche délicate. Bien que la BD coréenne soit en partie engloutie par la concurrence japonaise, quelques œuvres parviennent à émerger ici et là, à séduire un lectorat discret mais réel. C’est en outre ce que semble confirmer Gilles Ratier dans son annuel rapport consacré au marché de la bande dessinée. Le compte-rendu de l’année 2012 indique effectivement une  légère « reprise d’intérêt pour les manhwas coréens (106 en 2012, pour 85 en 2011) », soit l’exacte inversion de la baisse observée en 2011 : « Cependant, le public amateur des manhwas coréens (85 en 2011, pour 106 en 2010), des manhuas chinois (15 en 2011, pour 14 en 2010) et des créations de mangas européens (31, contre 46 l’an passé) a tendance à s’effriter. » [2]. Ces quelques chiffres reflètent les difficultés que rencontre le manhwa à s’imposer auprès du public français. L’erreur à éviter, mais encore si fréquente, serait d’ériger le manga en seul fautif, de voir dans son succès[3] l’unique obstacle à la promotion des œuvres coréennes. Certes, l’engouement des lecteurs pour les séries japonaises joue rarement en faveur du manhwa, même si certains dessinateurs coréens ont su tirer leur épingle du jeu en s’appropriant les codes du manga. Pour expliquer au mieux l’implantation timide du manhwa en France, d’autres facteurs doivent à notre sens être considérés, parmi lesquels le désintérêt de certains éditeurs à l’égard de l’offre indépendante.

 


[1] Casterman publie également du manhwa dans sa collection Ecritures (La mal aimée et Histoire couleur terre de  Kim Dong-Hwa ; Fleur de kun-woong Park etc.). On notera également un album collectif consacré à la Corée.

[2] Les rapport sont gratuitement consultables sur le site de l’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée (acbd) :  http://www.acbd.fr/bilan/les-bilans-de-lacbd.html

[3] Un succès qu’il convient de ne pas surestimer, la  mainmise du manga reposant en grande partie sur quelques best-sellers (Naruto, One Piece). Pour plus de précisions, nous renvoyons à l’article de Xavier Guilbert, disponible sur du9.org : http://www.du9.org/dossier/le-manga-en-france/