Ce livre nous propose, et c’est son grand mérite, un large tour d’horizon sur les Coréens plus que sur la Corée. Le livre consacre une part importante aux chaebol, les grands conglomérats coréens, sur lesquels repose depuis les années 70 la croissance coréenne. Il y est montré précisément la façon dont la Corée et tout particulièrement l’État coréen a géré la question centrale du développement par une série de dispositions, plus que de mesures, de nature à intervenir sur l’infrastructure économique du pays. Parmi celles-ci, remarquons la séparation des rôles entre chaebol et gouvernement et leur façon de se répartir développement des entreprises et vision d’ensemble. Remarquons, aussi combien l’imbrication étroite entre la stratégie de l’État et la stratégie des grands groupes a constitué une force inégalable, l’Ètat assurant la régulation stratégique par une vision d’ensemble et une autorité, certes fluctuantes, mais toujours partagée par les chaebol. En effet, depuis l’ère Park Chung-hee, le développement économique du pays repose à la fois sur la maîtrise stratégique de l’État concernant les grandes orientations et la définition du plan à long terme et sur une expansion horizontale des conglomérats. L’auteur souligne à juste titre l’efficience du mode de développement de ces conglomérats, avec une intégration verticale des fonctions et une diversification horizontale des activités, conférant à ces dernières un statut de toile d’araignée impressionnant, même si l’histoire nous a démontré qu’ils furent aussi parfois des colosses aux pieds d’argile. Il y aurait à rajouter que pour surprenants que peuvent être les modes d’organisation interne des entreprises coréennes, il y a certainement à tirer partie de ces modèles-là, dont on parle peu, alors que dans d’autres temps, les modèles japonais furent littéralement portés au pinacle.
Un succès qui repose sur la trinité : organisation-structure de production-système éducatif et la Corée est désormais lancée sur la route de la croissance et rien ne pourra l’arrêter. Quant aux dégâts sociaux occasionnés par cette même croissance, on pourra regretter qu’ils soient rangés au rayon de « mal nécessaire ». D’abord la croissance puis le bien-être disait Park Chung-hee, cette devise semble avoir été adoptée par les Coréens, de facto et l’auteur souligne que « le pays a renoncé à l’oisiveté aristocratique, à la philosophie et à la calligraphie ». Au passage, il a peut-être perdu une part de son humanité, est-on tenté de rajouter.
Mais bien qu’il y accorde une part importante, ce livre ne se résume pas au seul miracle du fleuve Han pour expliquer la réussite -une réussite qui n’a rien d’étonnant pour peu que l’on connaisse le pays- y sont aussi abordés des thèmes comme la vague Hallyu, la mode dont Séoul veut devenir une capitale, et bien entendu les questions de la réunification avec la Corée du Nord, pour lesquels l’auteur avance quelques idées intéressantes, quant à l’effet systémique des relations nord-sud où les moyens à mettre en place pour la réunification des deux pays. L’idée que tout le monde en Corée, et à l’extérieur, s’opposerait à la réunification ne tient pas, selon l’auteur, et la question qui se pose alors est de savoir, en dehors des énormes investissements que soulèverait la réunification, qui pourrait bien s’opposer à cette réunification ? Le temps ne semble jouer en faveur d’aucun des deux pays, mais peut-être joue t-il en faveur d’une réunification réussie.