Portraits d'Auteurs

Un écrivain et son temps, Park Wan-seo

PARK Wan-seo
PARK Wan-seo

 « L’ère durant laquelle j’ai vécu est une histoire à elle seule » Park Wan-seo.

Le poète Ko Un et le romancier Hwang Sok-yong, plusieurs fois nominés pour le prix Nobel de littérature, ainsi que le poète Kim Ji-ha, dont le philosophe français Jean-Paul Sartre signa la pétition pour sa libération de prison en 1974, mènent la troupe des auteurs coréens jouissant d’une certaine reconnaissance en dehors de leur pays. Mais il existe un autre écrivain coréen sans qui la littérature coréenne moderne serait incomplète. Bien qu’elle ne soit pas très connue en dehors de son pays natal, certains soutiendraient le fait que son nom soit placé au-dessus de M. Ko, M. Hwang et M. Kim sur la liste des écrivains coréens modernes.

            L’auteur en question est la romancière Park Wan-seo. Agée de 78 ans¹, elle est née en 1931 à Gaepung-gun dans la province du Gyeonggi-do, dans l’actuelle Corée du Nord. En tant que vétérans de la scène littéraire coréenne, les accomplissements de Park aussi bien en tant qu’écrivain de fiction qu’auteur populaire sont remarquables.

            La plupart des auteurs ayant atteint 70 à 80 ans, voient leur désir créatif diminuer par rapport à celui de la jeunesse. Pourtant Mme Park a publié deux livres d’histoires pour enfants cette année et ne montre aucun signe de faiblesse pour l’écriture, l’œuvre de toute sa vie.

            Un jour, à la fin juin, alors que la pluie avait détrempé le sol, J’utilisais la publication de ces deux livres comme un prétexte pour rencontrer Mme Park. Elle vit dans le village de Achiul, à Guri, juste après la frontière est de la capitale coréenne, Seoul. C’est un endroit calme ou les blocs monochromes d’appartements des grandes villes coréennes cèdent la place au vert des arbres et des forêts, un endroit où l’écoulement d’un ruisseau peut être perçu. Le jardin de Mme Park respirait la fraicheur et l’abricotier laissait s’échapper de petits fruits rougeâtres autour de son tronc.  Mme Park me salua avec son grand sourire caractéristique tout en disant qu’elle ne mangeait pas les abricots immédiatement mais qu’elle les conservait au réfrigérateur avant d’en faire des confitures.

            Les trois souhaits, l’un des deux livres d’histoire récemment publiés par Mme Park, est un recueil de 10 épisodes.  Le second, Merci pour ce monde, combine ses talents hors pair d’écrivain et des illustrations aux teintes feutrées. Le héros du livre est Bokdong, élève de CM2.  Sa mère ayant perdu la vie en lui donnant la sienne et son père étant parti aux Etats-Unis à la recherche d’un moyen de gagner sa vie, Bokdong finit par vivre avec sa grand-mère et sa tante.  Bokdong, à la fois joyeux et innocent,  est suffisamment mature pour comprendre les projets des adultes qui l’entourent, notamment de sa tante. Il finira par voyager aux Etats-Unis, sur l’invitation de son père, et réussira à apaiser celui-ci pendant les quelques mois de sa visite. Par dessus tout, l’histoire de Bokdong correspond bien aux lecteurs de son âge, reflétant de manière saisissante leur psychologie, vie quotidienne ainsi que leur vocabulaire.

            En fait, Mme Park indique dans les notes de l’auteur que c’est un fait réel de la guerre de Corée (1950-53) qui l’a incité à écrire ce livre. Un épisode relaté en fin d’ouvrage, sous la forme d’un passage narratif. Un moment si émouvant qu’il est difficile de le lire sans pleurer.  Un officier américain se battant durant la guerre de Corée est en train de se replier vers le sud lorsqu’il trouve le corps nu et gelé d’une femme sous un pont.  Un nouveau né pleure à ses cotés, enveloppé sous plusieurs couches de vêtements de sa mère.  Celle-ci, une réfugiée enceinte, sentant l’accouchement proche, n’a rien pu faire d’autre que de donner naissance à l’enfant et de le sauver avant d’être emportée par le froid. L’officier récupère l’enfant et l’emmène aux Etats-Unis avec lui, l’adopte et s’occupe de lui, n’économisant aucune attention. Mais l’enfant garde son père adoptif et ses amis à distance et sa situation se complique peu à peu. Ne sachant plus quoi faire, le père emmène l’enfant en Corée, choisissant volontairement d’y aller en hiver, et part à la recherche de la tombe de sa mère. Après s’être recueilli  et avoir hurlé son désespoir, l’enfant prend la résolution de changer et grandira pour devenir docteur. Il développera de nouveaux médicaments et s’emploiera à aider les enfants de pays en développement.

            Des expériences terrifiantes de la guerre de Corée et un style saisissant pour les rendre. Je pense que ces évènements ont été la base qui a permis à Mme Park de devenir un écrivain hors du commun ayant une grande influence sur le marché du livre coréen.

            Les lecteurs étrangers ne réalisent certainement pas l’étendue du pouvoir de Mme Park sur le marché de la littérature coréenne. Je questionnais Madame Park sur les ventes de ses livres majeurs et elle répondit « Merci pour ce monde (2009) et Trois souhaits (2009) se sont écoulés chacun à environ 20 000 copies. Le recueil de nouvelles Kindhearted Bokhee, publié en 2007, s’est vendu à environ 200 000 exemplaires, et le roman Qui a mangé tout le Shing-ah², considéré comme une de mes œuvres majeures, s’est écoulé à 1,5 millions d’exemplaires. » Elle mentionna également comment un membre de la maison d’édition  de l’université de Colombia, désireux de publier une traduction de ce livre déclara qu’il était « impossible qu’une œuvre de littérature pure puisse s’écouler à autant d’exemplaires « , et il alla revérifier les chiffres.  Elle ajouta également qu’en 2007, au salon international du livre de Séoul, un vieil homme de la campagne lui amena un exemplaire de L’arbre nu, publié en 1970, pour le faire signer. Comme on peut l’imaginer de la part d’un auteur ayant beaucoup d’humilité, Mme Park ne montra les chiffres qu’après insistance.

            La conversation évolua naturellement vers la question de la popularité de ses travaux. « Comment suis-je supposé le savoir? », répondit-elle.  « Beaucoup de livres que je pensais voir couronnés de succès n’ont rencontré qu’un accueil tiède de la part des lecteurs. » Elle ajouta bientôt, « Par ailleurs, mes histoire contiennent des personnages de tout âge, et les lecteurs s’identifient probablement à ceux-ci. »

            « Je pense que l’ère durant laquelle j’ai vécu est une histoire à elle seule », déclara-t-elle. « J’ai écrit mes livres de telle sorte qu’ils soient des témoignages honnêtes et vivants de leur temps. Car un livre peut rester enterré dans une librairie de livres d’occasion avant de revoir la lumière du jour. »

            Bien sûr, de toutes les expériences dont Mme Park se rappelle, celle de la guerre de Corée et la plus saisissante. « Je suis le genre de personne qui oublie ce qu’elle a fait la veille mais je n’oublierai jamais ce que j’ai vécu pendant la guerre, même si je ne l’écris pas. » Un aperçu général de l’histoire de Mme Park nous dit  qu’elle fût séparée de sa mère et de son grand frère. L’armée nord-coréenne jugeant probablement que Mme Park et sa belle-sœur seraient utiles au régime du fait de leur jeunesse.

            Mais Mme Park, se rappelant de sa mère la suppliant de ne traverser la rivière Imjin (séparant nord et sud) sous aucun prétexte car cela signifierait qu’elles ne se reverraient plus, s’enfuira dans les montagnes juste avant ce point. Sur son chemin du retour vers Seoul, Mme Park voyagea de nuit afin d’éviter les bombardements américains en se cachant le jour dans des maisons vides, survivant grâce à des céréales et du riz cru. Mais à son retour, son frère n’était plus.

            « Alors que je vivais tellement de choses dont je ne croyais l’homme capable, il semblait que je me disais à moi-même : Tu ne dois jamais oublier ça, tu dois t’en souvenir à tout prix. »

            Les critiques littéraires coréens estiment que les œuvres de Mme Park ont la sincérité des I-stories. Originaires du Japon, les I-stories sont des fictions écrites à la manière du journal intime, relatant sans artifices les évènements survenant autour du héros (qui n’est autre que le double de l’auteur lui-même).  La mort d’un grand frère, par exemple, et un thème récurrent de L’arbre nu et de Pour le rêve d’une montagne.

            Mais toutes personnes ayant eu de terribles expériences ne devient pas écrivain.  » Quand j’étais élève de primaire, j’ai grandi en écoutant les histoires coréennes pour enfants que mes grands-parents et ma mère me racontaient, comme par exemple Le conte de Simcheon ou encore Janghwa et Hongnyeon« , dit-elle. Sa mère aimait particulièrement le roman fleuve chinois L’épopée des trois royaumes et ne faisait pas qu’en lire des passages à l’enfant mais parlait aussi des gens qui l’entouraient comme si ils étaient des personnages de ce livre. « Cette homme est apparu comme Cao Cao », disait-elle par exemple. Ou encore, elle s’amusait dans la cuisine en disant « Cao Cao, saisit cette épée. »

            La mère de Mme Park lui réserva un traitement d’exception, contrairement aux autres familles coréennes qui dénigraient généralement les filles. En opposition avec l’opinion de l’époque, qui voulait que l’on n’instruise pas les filles, sa mère l’envoya à l’université de Seoul qui devait devenir plus tard l’université la plus prestigieuse de Corée. Sa mère lui donnait aussi les meilleures nourritures estimant qu’elle devait bien manger pour s’occuper de sa propre famille ensuite. Un tel environnement fut d’une grande aide à Mme Park pour devenir écrivain. « Elle a toujours été et est encore une grande source de soutien pour moi », dit-elle de sa mère.

            Alors que certaines de ses œuvres ont été publiées à l’étranger elle remarque qu’il est très difficile de comprendre la littérature d’un pays sans en comprendre l’histoire. Elle prend l’exemple du Japon, un pays riche en histoire et en littérature, où il est difficile de traduire ses livres.  « Quand la prose de mes livres est traduite dans une autre langue, le goût particulier des mots perd en saveur. » Selon elle il n’y a que deux façons pour les lecteurs étrangers de bien comprendre ses livres. En ayant une large connaissance de l’histoire coréenne et grâce à une traduction exceptionnelle, capable de rendre les éléments poétiques ainsi que ceux plus mystiques. Les deux chemins étant aussi ardus l’un que l’autre.

Reporter pour le JoongAng Ilbo

Traduit de l’anglais par Thierry Berno

AVEC L’AIMABLE AUTORISATION DU KOREAN LITERATURE TRANSLATION INSTITUTE

¹Note au lecteur : cet article a été une première fois publié à l’automne 2009, deux ans avant la disparition de l’écrivain.

²Traduit récemment en français sous le titre Hors les murs, éd. Atelier des cahiers