Son premier roman, Mina, nous plonge au cœur de la société contemporaine, au lieu et au moment où les adolescents nés au milieu des années 90 jouissent sans entrave des bienfaits de la mondialisation. Grisés par le succès d’un pays qui est passé en quelques années au rang de grande puissance mondiale, ils ignorent tout des avanies subies par les générations précédentes, seules à pouvoir mesurer le chemin parcouru et le prix d’une modernisation obtenue à marche forcée, bâtie grâce ou contre les valeurs séculaires véhiculées par le confucianisme – société hiérarchisée et culture lettrée du pays.
Une Corée traversée par des cultures générationnelles différentes qui s’opposent sans se comprendre, jusqu’à se combattre, alors même que les heurs et malheurs de cette course effrénée à la réussite sont le partage de la société toute entière, parents et enfants: les uns pour avoir connus lots de privations, années de souffrance et de difficultés pour l’avènement d’un pays moderne, les autres pour être les héritiers d’une société « normale », mondialisée, où tout est possible.
Au début des années 90 – date du premier gouvernement civil et entrée dans l’ère du postmodernisme–, la littérature ouvre un espace de contemplation rétrospective rendu nécessaire par le délitement des cadres sociaux et institutionnels. Un nouveau rapport au monde analysé à travers le prisme des relations homme/ femme ou de la vie de couple, et qui bien souvent dessine la carte d’une solitude profonde (Eun Hee-kyung) ; plus tard, dans les années 2000, d’autres auteurs choisissent d’illustrer au sein de ce qu’ils décrivent comme une littérature en apesanteur la diversité et la vitalité de la société coréenne, créant des personnages hauts en couleur, à la marge des codes admis (Kim Jung-hyuk). Il reste cependant rare que l’apparition de ces voix singulières conduise à des accès de violence. C’est la découverte de Mina. Une frange de quelques individus qui satisfont leurs pulsions jusqu’ à nuire à l’humanité même, à l’image de l’émergence de cette jeunesse qui sous la bienveillance de ses parents sacrifie de manière obsédante et entêtée sa vie et celles de autres au maintient de son statut social.
« Un cadavre et deux sourires. Et sans fin, les ténèbres autour d’eux ».
Il ne faut alors pas s’étonner de ne rien avoir vu – lu – de pareil. Apple Kim illustre à travers la déconstruction de la syntaxe le tiraillement de ces jeunes êtres coincés entre l’injonction à la réflexivité et injonction à être soi, fondamentalement contradictoires. Désordre de la pensée et désordre des mots, le style de l’auteur s’approche des indications théâtrales, les dialogues déconcertent : une syntaxe hachée, des phrases qui tournent en boucle, des locuteurs qui ne cessent de demander vérification auprès de leur interlocuteur la validité de leur propre parole. Un parti pris stylistique déroutant, loin des longs déploiements narratifs et du travail littéraire sur la langue auxquels le connaisseur de littérature coréenne est généralement habitué, mais qui de l’aveu de l’auteur sont insuffisants à inscrire le texte dans sa pleine contemporanéité (Apple Kim revient sur ce point dans une interview récente). Un œuvre qui porte la confusion de ces êtres dans l’entrechoquement des phrases, les propos parfois obscurs, voire abscons, comme si les mots n’avaient qu’une portée aléatoire.
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