Avec une attention particulière accordée aux éléments populaires, l’écriture est réaliste, brutale, les descriptions sont violentes. On sent la propre expérience de l’auteur, qui se fait à la fois narrateur et personnages (l’adolescent et le cinquantenaire dans les années 2000), faisant de ce roman ce qui ressemble à ce qu’on appelle une autofiction (mélange autobiographie et fiction). L’auteur mélange passé, présent, souvenirs et réflexions, réflexions à propos de lui et du monde qui l’entoure.
Le roman se passe pour la plus grande partie dans les années 60 et 70, années durant lesquelles il a eu entre 10 et 20 ans. Son « lui » adolescent nous est raconté par son « lui » plus âgé, Bum-Shin, écrivain reconnu. Le jeune est clairement marginal, rebelle (d’abord contre lui-même puis envers la société), tourmenté. Nourri par des auteurs eux-mêmes très marginaux (Jean Genet, Baudelaire et bien d’autres) qui voient dans la souffrance, le mal, le seul moyen de s’approprier le monde. Nait en lui une sorte d’attirance fascinée pour cette même violence : la violence du morbide et de la mort, de la mutilation, et du meurtre. Comme Jean Genet, son intériorité et son corps flirtent avec l’illégalité, la manipulation, la haine, avec une tendance à abîmer tout ce qu’il possède, et lui en premier. Jean Genet entre en moi et je rêve à la profonde tristesse fascinée qui appelle la violence. Plus qu’une véritable violence extériorisée -car en réalité il n’y a pas de quoi le caractériser de délinquant, contraste bien établi avec la présence dans le roman de vrais meurtriers et suicidaires- c’est l’état émotionnel que provoque la violence en lui qu’il recherche. Il recherche la sensation, accompagnée d’une auto contemplation fascinée de son propre état, de sa conscience malade.
Rapidement le lien est fait entre son mal-être et le monde qui l’entoure. Son « lui » plus âgé et qui se fait psychanalyste, tend à expliquer qu’une des raisons probablement inconsciente de cette violence, et de trouver une surenchère à ce qu’il appelle l’humiliation de la vie. Dont fait partie la sensation d’être de cette jeunesse ridicule qui doit se raser le crâne de près, comme les moines ! référence explicite aux réglementations et restrictions sévères des libertés sous le gouvernement de Park Chung-hee. En échec scolaire, il est sauvé par un professeur qui le prend en main ; il refuse cependant d’étudier et plus tard d’aller à l’université (voie toute tracée pour la jeunesse chargée de développer son pays) qui n’est pour lui qu’une illusion, une escroquerie. On comprend mieux le choix du titre, le « pupitre » étant le symbole de la scolarité, de l’adolescence, du système : Allez essuyez moi ces saloperies de pupitres pour pouvoir vous lancer comme des fous dans ce monde de fous ! La folie du monde reste l’incompréhension principale du personnage, et se ressent dans toute sa jeunesse : les couvre-feux, la censure, la faim, la prostitution, les grillages, portes en fer et chemins terreux, constituent la folie qu’il côtoie tous les jours, que le narrateur plus âgé mais en parallèle avec la folie du monde : Assassinat de Kennedy, guerre du Vietnam, chasse au communistes, etc.
Cependant, cette folie du monde n’empêche pas le narrateur plus âgé d’aimer son pays. C’est aussi facile de s’insérer dans la folie du monde que de s’assoir pour manger, dit-il. Lui qui se retrouvera à enseigner à l’université, confronté à une génération qu’il ne comprend pas, ou plutôt qui ne le comprend pas lui. Les jeunes ne connaissent pas Dostoïeveski, ils sont habitués au commerce du sexe par internet et ne comprennent pas l’existence d’un Grand Rêve débarrassé de l’argent et du pouvoir. « Grand rêve » qu’il est censé leur vendre, celui de sa réussite et de celle de son pays. Et si l’homme âgé semble moins troublé, il n’en oublie pas moins qui il était par le passé, et ne prétend pas avoir plus compris le monde que son alter ego de seize ans, bien au contraire. Le lien qui l’unit à lui que j’ai tellement adoré mais que j’ai également eu envie de tuer est fait d’amour, de mélancolie mais aussi de rejet et de culpabilité parfois (culpabilité de l’avoir « tué » -ou sauvé ?- pour être différent). Sentiment bien expliqué lors de sa présence en tant que supporter aux 8ièmes de finale de la coupe du monde de 2002 : Comment me pardonnerait-il, lui, à moi qui a cinquante sept ans crie « Vive la Corée ! » au milieu de la vague rouge, moi qui vis depuis plus de trente ans avec le statut d’écrivain, moi qui suis reconnu par ce monde de folie qui l’a tué ?
Si ce roman est assez sombre par bien des aspects, il n’en est pas pour autant pessimiste ou donneur de leçons. L’auteur va au plus profond de la misère de l’époque, et fait partie de ces auteurs contemporains qui n’oublient pas les laissés pour compte des ravages de la guerre et du développement économique. Ce que l’écrivain aime et recherche dans la proximité avec son alter ego jeune, c’est sa spontanéité, son rapport « brut », violent, aux choses du monde, dont il apprend encore des dizaines d’années plus tard, en revivant ce rapport au monde –monde maintenant changé certes- par le biais de l’écriture.