Quand on appelle fort « Mon pays ! »
On s’entend répondre « Mon fils ! » J’aimerais vivre dans un tel pays Où font écho les voix amies. Hors des races, des peuples, des classes Façonnés dans un lieu froid et obscur, Hors des idéologies, des pensées de gauche ou de droite Hors du cri oppressant d’une telle lutte Une terre où personne ne se fait exclure nulle part. (Mon pays, P92)Son rattachement à son pays, sa Corée, est spirituel dès lors qu’il pense à ses proches qui lui manquent en faisant face à la nature, mais aussi matériel puisqu’il fait le choix de n’écrire que dans sa langue maternelle. Le recueil permet d’ailleurs au lecteur la chance de découvrir quelques textes originaux avant la traduction, à chaque début de chapitre. L’écriture lui offre le lien avec ses origines dont il a tant besoin, à l’image de sa grand-mère qu’il entend lui parler en patois dans « Ma grand-mère maternelle. »
Poète de cœur mais médecin de profession, Mah Chong-gi offre des textes liés à ses expériences personnelles et se concentre sur le thème clé de l’eau. Celle-ci revient constamment tout au long du recueil, et cela n’a rien d’un hasard. Non seulement le corps humain est constitué à plus de 60% d’eau, mais le poète est certain que même mort, il se changera en eau, c’est-à-dire, restera eau, puisqu’il aime s’identifier aux rivières dans son errance. « Vivre serait partir toujours, même l’eau de la rivière ne fait que partir tout le jour. » (Le crépuscule de la diaspora, P100) Visiteur, comme dans le poème éponyme, expatrié, comme l’auteur, ou autre, il faut toujours repartir, le mouvement est continu. Tout comme il est impossible d’arrêter l’eau de la rivière, il est impossible d’arrêter l’homme. Mais si le départ est nécessaire, il n’est pas fatalement signe de désespoir car comme le souligne le poète : « Ah je comprends que nous sommes tous des gens natifs du même pays, tant que nous sommes ainsi reliés les uns aux autres par l’eau. » (Une longue rivière de ce monde, P50)
Il n’y a pas que les expériences présentes qui animent le souvenir dans la poésie de Mah Chong-gi, le passé reste très présent, notamment dans le poème « L’île » qui raconte ses terribles expériences sous la dictature de Park Chung-hee et les souffrances qui l’ont poussé à l’exil. Ce texte narratif très fort, « J’ai subi un interrogatoire dans la chambre 3 en sous-sol. Je ne sais trop si l’article 94 de la loi relative aux personnels militaires existe encore, mais le monsieur qui dressait le procès-verbal avait un langage brutal et de grosses mains » (P42), est expliqué par l’auteur dans un essai qui clôt le recueil.
Second volume de poésie coréenne à paraître chez les éditions Bruno Doucey, Celui qui garde se rêves répond à Celle qui mangeait le riz froid de Moon Chung-hee. Le choix des poèmes par la traductrice Kim Hyun-ja et leur agencement par ordre chronologique invite à suivre la voie de l’exil, le temps d’un recueil, et à s’en sentir grandi.
On dit que si nous gardons longtemps la nostalgie de quelque chose, Ça s’en va de partout à la mer et ça fait ce bruit de vague énorme. » (Quelque chose de froid, de chaud, et d’obscur, P45-46)