Sciences Humaines & Sociales

Qu’est-ce que la vague coréenne?

Hallyu

La naissance de la vague coréenne remonte au milieu des années 1990, avec les débuts du groupe d’idoles H.O.T. et leur succès énorme en Asie de l’Est. Le nombre de fans n’a fait qu’augmenter avec l’arrivée d’autres groupes tels que Shinhwa et TVQX ; les dramas comme « Dae Jang Geum » et « Winter Sonata » ; les jeux en ligne comme « Lineage » ; les personnages coréens comme Pororo… La culture pop coréenne est devenue un phénomène culturel qui s’est étendu bien au-delà des frontières de l’Asie. Avec un secteur de l’édition minuscule et beaucoup moins de lecteurs qu’au Japon, l’avancée apparemment infinie de Hallyu marque les Coréens, à la fois fiers et incrédules. La vague coréenne a perdu son statut de sous-culture pour ados et en prenant de la vitesse, elle a conquis le monde entier, tous âges confondus. Ainsi, on peut la considérer comme l’un des aspects importants de la culture populaire, offrant un terrain fertile pour des discours plus complexes. Ce phénomène est d’autant plus compliqué que les médias, les agences de divertissement, le système d’industrialisation de la culture et le nationalisme culturel s’en mêlent.

Tous ces facteurs doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit de retracer l’histoire de la vague coréenne. Celle-ci a commencé par se déverser sur l’Asie de l’Est au milieu des années 1990. Ce n’est qu’en 2005 qu’elle a pris son intensité actuelle, quand le seuil des six millions de touristes annuels a été franchi par la Corée. Ceci est majoritairement dû au drama « Dae Jang Geum » qui arrive en Chine la même année. Bae Yong-joon, l’acteur de « Winter Sonata », se retrouve à l’affiche du film April Snow, ce qui relance sa popularité. Néanmoins, pour ce qui est du Japon, l’intérêt porté à l’acteur semble plus lié à une sorte de culte qu’à un quelconque intérêt pour la culture coréenne. « Dae Jang Geum » par contre, avec son histoire épique présentant la culture coréenne, a réellement captivé les spectateurs chinois. Alors que les femmes de la Cour devaient toujours se limiter à des rôles les présentant en rivales pour gagner l’affection du roi ou se chamailler à propos du pouvoir, le personnage de Jang Geum utilise ses propres compétences et sa détermination pour avancer. C’est un personnage féminin innovant qui est immédiatement devenu un classique. Ensuite, le film Le Roi et le Clown sort en 2006, suivi des dramas « What love ? », « Lovers in Paris », « All in » et « Iris » qui se sont tous vendus comme des petits pains à l’étranger.

Alors, qu’est-ce que la vague coréenne ? D’après l’universitaire Cho Hae-joang, celle-ci fait référence à « la tendance à apprécier et consommer la culture pop coréenne sous forme de musique, de drama, de mode, de tourisme ou de film, qui est particulièrement forte parmi les adolescents de Chine, Taiwan, Hong Kong et du Vietnam. » La définition du professeur Cho ne précise pas si le produit culturel doit ou non inclure un composant culturel ou si le fait d’être « made in Korea » suffit. Il utilise les résultats de la vague coréenne pour la définir, sans prendre en compte les intentions idéologiques et commerciales qui entrent en compte en début de production. Le point le plus épineux lorsqu’on parle de la Hallyu en Corée, est la question de l’inclusion d’un composant culturel dans le produit final. Le succès de la Hallyu, à la fin des années 1990 en Asie de l’Est puis dans les années 2000 pour le reste du monde, n’a pas suffi à régler ces questions de nationalisme culturel. Alors que le nationalisme coréen joue un rôle majeur dans la vague coréenne, sa position idéologique va clairement contre la définition de la culture. Si l’on considère que la culture se base sur la compréhension mutuelle de son pouvoir pour dépasser les limites, poser l’identité coréenne au centre de la vague coréenne reviendrait à inviter les autres pays à opposer une résistance.

Lorsqu’une culture en rencontre une autre, le conflit et la résistance sont naturels. C’est le fait de l’histoire politique et de la psychologie de tout pays. Par exemple, au milieu des années 2000, les deux plus grandes sociétés de diffusion du Japon décident de réduire le temps d’antenne accordé aux dramas coréens. Cette décision ne peut se comprendre sans analyser l’histoire des deux pays. D’un point de vue historique, il est très rare que deux pays voisins soient en bons termes. La culture n’est pas une création pure, ni une imitation pure. Et le fait de bombarder un pays avec la culture d’un autre dans un échange à sens unique n’a rien de vraiment « culturel ». Considérer les autres pays d’Asie et du monde comme des consommateurs de notre culture est un exemple de suprématie culturelle infantile, du capitalisme esclavagiste à son plus haut degré. De ce point de vue, il est nécessaire que la Corée s’ouvre à un échange de culture plus équitable si elle veut que la vague coréenne continue sur le long terme.

Un autre aspect problématique de la vague coréenne est qu’elle équivaut à un intérêt commercial en lien avec l’intérêt économique national. Ceux qui partagent ce point de vue aiment à répéter que « à l’âge des conflits culturels, la culture est la compétitivité » ou encore « la culture c’est de l’argent », ce qui bien sûr, n’est qu’une terrible barbarie entre le véritable échange et la compréhension des autres cultures. Alors que la vague coréenne reprend de la vigueur, il serait bon de repenser ce genre d’attitudes d’un point de vue critique et de voir s’il est possible de trouver des alternatives.

Le retour en force de la vague coréenne ces dernières années est largement dû à l’intérêt grandissant pour la K-pop. Trouvant ses premiers fans en Asie de l’Est dans les années 1990, celle-ci est maintenant aimée des Européens comme des Américains. Les médias coréens n’ont pas perdu de temps à diffuser les vidéos des jeunes étrangers hurlant aux concerts de K-pop, au rythme des paroles coréennes, imitant les chorégraphies de leurs idoles. La fierté des Coréens à voir les géants culturels de l’Europe bouger au rythme de la musique coréenne a été conséquente, mais en même temps, il était difficile de savoir la source réelle de l’attraction. On pensait que la K-pop était un produit manufacturé par des agences spécialisées qui changeaient des jeunes gens attirants en girls et boys bands. Honnêtement, les chansons exubérantes et les chorégraphies de danse commencent à perdre de leur effet en Corée. Des programmes télévisés de jeunes talents ne se lassent pas de répéter combien le public mature est las de ce genre de stars.

On s’intéresse de plus en plus à l’impasse à laquelle sont confrontés les groupes d’idoles. Le terme « idole » est devenu iconique en Corée, remplaçant immédiatement le terme « star ». Une star a un statut mystérieux, peut-être même symbolique ; une idole est par définition manufacturée par un système commercial. La montée des idoles en Corée est fortement liée à la montée de l’extrême capitalisme dans le pays faisant suite à la crise financière de 1998. Le capital prend de l’importance en Corée et on encourage la compétition à une vitesse absolument incroyable. Le corps humain devient une simple machine, un outil permettant d’amasser encore plus de capital. Dans les années 2000, ce capitalisme extrême devient la matrice dominante dans la vie du peuple coréen.

Ce changement d’attitudes sociales et économiques a profondément marqué la culture populaire. Dans les années 1990, les agences dénicheuses de talents organisent des castings avant de changer un groupe en idoles. Après les années 2000, elles commencent à entrainer un grand nombre de personnes qui doivent entrer en compétition pour intégrer un groupe. Puisqu’on entraine beaucoup plus de personnes que de groupes potentiels, les aspirants idoles peuvent passer des années à s’entrainer sans aucune garantie de percer un jour. Ils chantent, dansent, apprennent les langues étrangères, et tout ce qui pourrait les faire monter au-dessus du lot. Exposés à un tel système depuis leur jeune âge, ils ont intégré le rêve et le désenchantement inhérents au statut de produit manufacturé. Cela concorde avec la situation de la jeunesse coréenne de la génération dite « 880 mille wons » (soit 650 euros), prisonnière du présent et sans meilleur projet pour l’avenir, gardant pourtant l’espoir irréel de percer un jour. Ils rêvent pour oublier la misère de la réalité : les idoles passent toute leur adolescence à s’entrainer dans des conditions inhumaines pour décrocher un contrat, qu’ils n’auront pas toujours, et qui, une fois signé, fera d’eux des esclaves du stress lié à une popularité qui ne sera que de courte durée.

Le développement des groupes d’idoles est allé de pair avec celui des agences dénicheuses de talents dans les années 2000. A cette époque, l’influence financière de l’agence prend le pas sur l’influence musicale du producteur. Les agences veulent créer des artistes, pas des chanteurs, des produits utilisables à plusieurs occasions. La frénésie d’amasser du capital par ce développement se retrouve dans l’explosion du nombre de recrues, devant se battre les unes contre les autres pour devenir idoles. Nombre de groupes sont ainsi formés, subissant un entrainement, et pouvant être dissous à tout moment dans ce système ultra compétitif.

Le succès de l’émission de recherche de jeunes talents « Superstar K2 » à la télévision reflète une même tendance. Huh Gak, vainqueur de l’émission est devenu l’icône culturelle de l’année 2010. Invité à la Maison Bleue de la présidence sud-coréenne, il s’est présenté comme une preuve vivante de l’équité de la société coréenne où tout le monde pouvait réaliser son rêve. Pourtant, l’émission en question est un concours à la compétition féroce qui rejette des participants chaque semaine ; le gagnant est le seul à rester à la fin. Les jeunes coréens qui ont des boulots à temps partiel ou irréguliers, constamment terrorisés par le chômage, doivent alors rêver d’une médaille d’or aux programmes d’audition de ce genre, alors que la réalité est bien plus difficile. Alors que les agences dénicheuses de talents jouent un rôle dans le mythe du succès, toujours est-il qu’elles ne sont que des machines impitoyables qui opèrent sur le marché néo-libéral et qui veulent avant tout programmer et décider de tous les détails de leurs produits plutôt que de mettre en valeur la diversité des potentiels et des talents.

Avec un tel arrière-plan, quel regard porter à l’engouement pour la K-pop ? Les spectateurs et jeunes coréens devraient-ils se réjouir de l’intérêt porté par les Européens, Sud-Américains ou Australiens tout en faisant face à l’autre visage du mythe ?

Ce qui est sûr, c’est que la vague coréenne doit cesser de se positionner selon ses succès commerciaux ou l’hégémonie politico-diplomatique dans un suprématisme culturel éhonté. Le phénomène doit être un mouvement de célébration du partage de la culture. Toutes les cultures sont influencées par les autres, aucune n’est création pure ni imitation pure. Les cultures se rencontrent, s’absorbent, s’imitent et se rejettent dans un processus sans fin de création et de consommation. Ainsi, toute culture est bâtarde, curiosité hybride. Faire de la vague coréenne un phénomène uniquement coréen est ni plus ni moins du chauvinisme. La K-pop a déjà fait venir des producteurs, des chorégraphes et des compositeurs de divers pays du monde, ce qui fait déjà d’elle un modèle hybride. Mondialisation est un autre terme pour hybridité. Il faudrait considérer la vague coréenne comme un phénomène dans lequel une culture locale agit comme point de rencontre commun avec une multitude de cultures, en transcendant les similarités et les différences.

Traduction : Lucie Angheben

Avec l’aimable autorisation du KLTI.