Grâce à ces pages, l’on découvre l’envers du décor de la vie à la Cour et le poids des intrigues sur l’âme humaine. À l’instar d’autres ouvrages précieux d’Asie (Chine et Japon), nous pouvons voir que l’entrée au Palais royal de Corée avait de lourdes conséquences, tant politiques que familiales.
Ici, il nous est narré le ressenti d’une vieille reine qui se souvient de son passé, de l’enfance jusqu’à son entrée au Palais royal qui signifiait la fin de l’enfance, de l’innocence, et la fin de ses convictions personnelles au profit de celles d’une même entité : la Cour. On suit les réminiscences d’une mère qui dut se plier à l’idée de se séparer de son jeune enfant et d’une femme qui fit face à la folie de son époux. Dame Hong ne deviendra reine qu’à titre posthume en 1907, sous le règne de Kojong, car son époux était le fameux prince Sado¹. Elle dut accepter avec angoisse la décision du père de ce dernier qui, dans l’incapacité d’endiguer la folie de son fils et de déjouer les complots le menaçant, l’envoya à la mort². Dame Hong nous raconte, avec une sobriété et une lucidité étonnante, comment tout ceci arriva. L’écriture est alors ici un rempart contre la solitude et l’abandon de la vieillesse, car une reine qui ne vit plus au Palais est souvent laissée dans une demeure à l’écart avec une seule servante. C’est aussi un rempart contre les mensonges, les vérités déformées et les manipulations qui pourraient en découler contre le futur roi, son fils.
Les grands apports de notes historiques et explicatives dont bénéficie ce texte permettent une lecture ouverte et instructive. En outre, dans ces mémoires l’on trouve de nombreux détails concernant la préciosité des tissus, la manufacture des bijoux ainsi que des descriptions détaillées de l’architecture pavillonnaire des palais royaux de Corée. L’on y apprend de petites anecdotes intéressantes quant à la vie des femmes de palais, aux maux des Grands³, aux maladies qui ne trouvaient pas encore de cures à l’époque.
Par-delà les bribes de souvenirs, l’on suit la plume délicate de cette femme qui a traversé l’un des évènements les plus tragiques et les plus revisités de la période Joseon. Tour à tour, elle décrit avec retenue son indignation, son respect, son amour, sa foi, ses peines, sa colère et puis enfin, sa résignation devant l’inévitable. De fait, c’est un texte sensiblement différent. Il est écrit par une femme, à une époque où le confucianisme ne donnait pas voix au chapitre — ou si peu — à celles-ci, et qui plus est, par une dame de cour, qui suscita très tôt un vif intérêt aux yeux du roi, et pu influer le cours de l’histoire coréenne par sa ténacité. Ces mémoires nous rapprochent de l’être humain qui habite l’histoire royale, avec ses défauts, ses ambitions cachées, ses désillusions et ses désirs réprimés. Un récit précieux pour quiconque s’intéresse à l’histoire des femmes en Corée et à l’Histoire.
MÉMOIRES D’UNE REINE DE CORÉE
DAME HONG
Traduit de l’anglais par Claude Bouygues, avec la participation de Christiane Tchang-Benoit,
Philippe Picquier, 132 pages, 7 €.
¹ Son nom est Lee-Seon (이선) , et il fut élevé au rang de roi à titre posthume, car de son vivant, il devint fou.
² Le roi Yongjo ordonna que son fils, le Prince Sado, soit emprisonné dans un coffre à riz pendant 7 jours, sans eau ni nourriture, jusqu’à ce que mort s’en suive.
³ Problèmes de cervicales causés par les parures et les coiffes lourdement ornées, solitude, dépression, alcool et Kisaengs…
J’aurais aimée vivre en tant que princesse a l’époque de la Dynastie de Joseon ! merci pour cet article ! ^^