Le poète et romancier Poseok Jo Myeong-hui a volontairement rejoint la communauté en exil en 1928, afin d’y enseigner la littérature de langue coréenne, la langue maternelle de ceux qui se battaient pour l’indépendance de leur pays tout en luttant pour survivre dans un nouvel environnement. À ce jour, Poseok est encore considéré comme le pionnier parmi les communautés littéraires de langue coréenne hors de Corée. Son poème « Koryo, piétinée » qui dévoile les atrocités commises par les Japonais lors de l’occupation de la péninsule coréenne, est l’une des raisons pour laquelle les immigrés coréens des pays d’Europe de l’Est ont commencé à s’appeler « Koryo saram », littéralement « le peuple de Koryeo ».
Un groupe de Koryo-saram, après avoir étudié auprès de Poseok pendant presque dix ans et publié des œuvres en coréen dans la rubrique « Art et littérature » de la revue Seonbong (Avant-garde), a donné naissance à la culture restreinte mais florissante de l’écriture en hangeul dans la région enclavée de l’Asie Centrale, où de nombreux Coréens avaient migré en 1937 sous l’ordre de Staline. Quittant son premier siège de Ushtobe au Kazakhstan, le journal coréen Renin gichi (la bannière de Lenine), renommé Koryo Ilbo (le quotidien de Koryeo), prend ses quartiers à Almaty et devient le cœur littéraire de la diaspora coréenne des États post-Soviet. Grâce aux publications des journaux et livres coréens ensuite distribués par le parti communiste, les Koryo-saram ont pu conserver leur identité unique et développer un sens développé de l’unité.
Le parti communiste a publié des œuvres littéraires d’auteurs individuels, comme les œuvres choisies de Poseok, qui s’est sacrifié pour Primorsky Krai, des recueils de poèmes de Kim Jun, Kim Gwang-hyeon et Ri Jin, un roman de Kim Jun, un recueil de nouvelles de Kim Gi-cheol, un recueil de récits de Yeon Seong-ryong, un ensemble de pièces de Han Jin. Il a ensemble publié de nombreux ouvrages d’auteurs variés, comme Poésie de Joseon en 1958, Soleil d’octobre en 1971, Mélodie de Syrdariya en 1975, Tournesol en 1982, Terre natale de bonheur en 1988, Le pays où les fleurs éclosent en 1988 et La lumière d’aujourd’hui en 1990. La publication constante de telles œuvres littéraires rédigées en hangeul par les immigrés coréens est le produit d’efforts collectifs menés pour la préservation de leur culture et de leur identité alors qu’ils luttaient pour survivre loin de leurs racines.
Dans un environnement pourtant rendu difficile à supporter à cause d’une idéologie forcée et d’une censure d’État, ces écrivains Koryo-saram ont continué à exprimer leur amour du hangeul pour apaiser leurs esprits, oublier la nostalgie et continuer à écrire en langue coréenne. Dans son poème « Je suis un homme de Joseon », Kim Jun, forcé de quitter l’Est russe, écrivait : « En Russie, le Grand Est,/ sur les rives de l’Iman, je suis un homme de Joseon. / C’est pourquoi le mot de Joseon pour ‘mère’/ est plus profondément ancré en moi que n’importe quel autre. » Dans le poème « Langue Maternelle », le poète et transfuge Nord-coréen Maeng Dong-uk dit : « Ma langue maternelle est ma compagne. / Alors je ne me sens jamais seul. / Jamais triste. / Le bonheur me hisse si haut. »
Cependant, certains poètes ont préféré chanter leur désir de rentrer chez eux, de fuir ces vies d’errance sur une terre étrangère. L’un des textes les plus polémiques a été écrit par Gang Taesu, qui fut emprisonné pendant vingt ans suite à son « À la jeune fille qui labourait les champs. » Gang a été accusé d’exprimer sa nostalgie publiquement alors que les délocalisations forcées venaient de commencer. Dans « Arirang », Gang demande : « Arirang, arirang, / cette colline, cette crête/ Je m’écris de désir,/ est-ce au Sud ? / Est-ce au Nord ? » Puis, dans « Liens du sang », Jeong Jang-gil, né sur l’île de Sakhaline, chante ainsi : « La patrie commence-t-elle à la porte de la demeure de l’enfance ? / … Ce dont on a envie lorsque les temps sont durs/ c’est de voir sa mère. / Est-ce la raison pour laquelle la patrie est aussi appelée terre mère ? » Un autre poète et transfuge Nord-coréen, Yang Won-sik, exprime sa nostalgie dans « Pleine Lune » : « La pleine lune que j’ai vue hier,/ ai-je tellement d’affection pour elle/ parce que même lorsque je suis si loin de chez moi/ elle m’a suivie jusqu’ici ? … Les montagnes et les rivières là-bas que je ne saurais oublier,/ puis-je les voir se refléter à la surface de la lune ? »
Les œuvres de fiction ont également contribué à la préservation des coutumes coréennes traditionnelles et des jours de fête. Le court récit de Kim Gi-cheol intitulé La première année après la migration raconte l’histoire de la première vague de Koryo-saram à être délocalisés. Pendant leur vie difficile dans un kolhoz, ou ferme collective, où ils tentaient de cultiver la terre aride de l’Asie centrale, la communauté des Koryo-saram a su préserver les coutumes coréennes, se réunissant pour le Nouvel An Lunaire pour partager la traditionnelle soupe de gâteaux de riz, organiser les rites aux ancêtres et faire des révérences pour se souhaiter mutuellement de la chance pour la nouvelle année à venir. Mais, récemment, avec la disparition de presque tous les représentants de la première génération des écrivains Koryo-saram d’Asie Centrale, ou leur impossibilité de continuer leur travail, de moins en moins d’œuvres sont rédigées en coréen. Les jeunes générations préfèrent utiliser le russe dans leurs textes. Un écrivain de la troisième génération nommé Anatoli Kim et né en 1939 dans la communauté des Koryo-saram du Kazakhstan est actuellement l’un des plus célèbres de ses représentants dans le monde. Diplômé de l’Institut Littéraire Maxime Gorky en tant qu’aspirant artiste, Kim a publié sa première fiction en 1973, pour être par la suite reconnu comme un écrivain de talent avec le roman L’écureuil, qui traite de la crise identitaire d’un jeune orphelin à cause de la guerre de Corée, et Notre père la forêt. Descendant du clan Kim de Jincheon à Gangneung, il considère la péninsule coréenne comme la patrie de son âme. Ses œuvres reflètent un monde spirituel d’Asie de l’Est qui s’oppose à l’arrière-plan des pays russophones, en racontant les histoires sans passer par la notion du temps linéaire traditionnelle, ni par le réalisme soviétique, y préférant une fantaisie romantique à la polyphonie unique.
L’écrivain mystérieux Roman Kim est né en 1899 à Primorsky Krai. Il a étudié au Japon avant de retourner chez lui pour se consacrer à l’écriture de romans historiques, dont L’assassinat de la reine Min, La jeune fille d’Hiroshima et Les mémoires de Suncheon. Yuliy Kim, né en 1936 à Khabarovsk, est célèbre pour écrire des poèmes qui accompagnent les protestations du peuple contre le système. Autrefois considéré comme une idole par les jeunes étudiants pour sa chanson « Ma mère », Kim exprime dans ses œuvres la souffrance et les difficultés de la vie de la diaspora des Koryo-saram, même si ses œuvres sont emplies de sagesse et d’humour.
Article paru dans le journal _list (www.list.or.kr). Traduction : Lucie Angheben.