La première histoire nous est contée par le mari de Yonghye, qui assiste médusé à la métamorphose de sa femme. La seconde histoire est cette fois décrite par le regard du beau-frère, un artiste plastique qui rêve de créer une œuvre de nu dans laquelle figurerait son intrigante belle-sœur. La troisième histoire nous offre le point de vue de la sœur de l’héroïne, épouse de l’artiste, qui rend visite à sa sœur à l’hôpital après son internement en psychiatrie.
Comme le titre l’indique, tout part de la décision de se tourner vers le végétarisme. Rien de bien original en soi, mais c’est là qu’intervient l’imagination de Han Kang. La protagoniste explique son choix par une raison bien particulière : elle est persuadée que les vies des animaux consommés dans son existence s’entassent quelque part en elle et l’empêchent de respirer librement.
C’est mon cœur qui souffre. Quelque chose est bloqué au niveau de mon épigastre. Je ne sais pas ce que c’est. C’est toujours là. À présent je le sens même quand je ne porte pas de soutien gorge. J’ai beau pousser un long soupir, ça ne libère pas ma poitrine. Des cris, des rugissements s’y sont accumulés, incrustés. C’est à cause de la viande. J’en ai trop mangé. Toutes ces vies sont coincées là. J’en suis sûre. Le sang et la chair sont digérés, dispersés aux quatre coins du corps, le reste est évacué, mais les vies restent farouchement accrochées dans mon estomac. (58)
Son changement de mode de vie est un véritable choc pour son mari et sa famille, qui n’arrivent pas à comprendre. Surtout lorsqu’ils se heurtent à une même explication, le rêve, qui ne les satisfait pas. C’est alors que les relations conjugales et familiales changent et se détériorent. Yonghye est peu à peu rejetée. Han Kang nous dépeint une société où il reste mal vu de clamer sa différence. Le végétarisme devient le symbole de la différence, du penser autre et agir autre. Le mari de Yonghye, qui semble tristement plus intéressé par sa carrière professionnel que par le bien-être de sa femme, en arrive à penser ainsi :
Il m’arrivait même de me dire, me résignant à l’idée que j’étais marié à une femme un peu bizarre, que je pourrais continuer à vivre ainsi. En la considérant comme une étrangère, ou bien comme une sœur, ou une employée à domicile qui préparait mes repas et faisait le ménage. (39)
Aux yeux de son mari, Yonghye devient une étrangère. Elle perd même toute humanité lorsque son mari ne lui adresse même plus la parole. Elle se change alors en objet sous le regard de son beau-frère, en objet de désir. Même si ce dernier ressent pour elle une attirance physique, qui se concrétisera dans la réalisation d’une œuvre d’art hors du commun, il a lui aussi du mal à lui donner un statut humain.
Il avait l’impression que cette femme qui acceptait tout cela avec tant de naturel était un être sacré, ni humain, ni animal, une réalité autre située entre la plante et la bête. (99)
Redevenir plante, ou plus exactement, se changer en arbre, c’est d’ailleurs là le souhait ultime qui se développe dans l’esprit de Yonghye, qui sombre peu à peu dans la folie. Tête en bas, décidée à se faire arroser jusqu’à ce que ses racines s’enfoncent profondément dans la terre, est-ce le rejet des autres êtres de son espèce qui l’incitent à se tourner vers le désir d’un nouvel état ? Les trois courtes nouvelles de Han Kang amènent à réfléchir sur la différence, sur la folie, et sur ce qui fait de nous des êtres humains.
LA VÉGÉTARIENNE
DE HAN KANG
Traduit du coréen par JEONG Eun-jin et Jacques BATILLIOT
Édition Le Serpent À Plumes, 260 pages, 18€
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