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Parasyte: The Grey

Sur fond d'invasion alien, Parasyte: The Grey, la nouvelle sensation Netflix, tisse une réflexion plus large sur la communauté, l'altérité, la normalité et la solitude.

Parasite
Édité chez Glénat.
Psychologie des foules
Psychologie des foules, Presses Universitaires de France, 2003.
Conformité
"Effects of Group Pressure on the Modification and Distortion of Judgment", in Groups, Leadership and Men, Carnegie.

Parasyte: The Grey est la nouvelle série sensationnelle coréenne sur Netflix, atteignant la première place du Top 10 des séries en France en quelques jours. Série inspirée du manga japonais Parasite (et sa version animée Parasyte: The Maxim), Parasyte: The Grey suit la réponse des humains à une invasion alien. La série débute quand d’étranges sphères tombent du ciel sur la Corée, desquelles éclosent des larves dont l’instinct primaire est de parasiter le cerveau des humains. Une prémisse qui n’est pas sans nous rappeler le webtoon Le garçon au fusil ou bien le drama Duty After School.

Jeong Su-in, 29 ans, est orpheline et travaille dans un supermarché. Un soir, elle se fait poignarder par un client instable avec qui elle a eu un désaccord, mais est sauvée de justesse par un parasite qui prend possession de son corps. Seulement voilà : le parasite n’arrive pas à prendre pleinement contrôle du cerveau de Su-in comme ses congénères, et les voilà forcés de cohabiter dans un seul corps.

L’histoire présentée dans The Grey évolue en parallèle de la source japonaise : nouveaux personnages, approche différente mais circonstances similaires. En outre, la version coréenne s’intéresse particulièrement aux questions de solitude et de communauté.

La communauté est le moteur de la société ; les individus isolés n’ont aucun poids. Et cela, le chef des parasites l’a bien compris. Prenant d’abord pour hôte un pasteur, il se revendique leader spirituel de sa race, mais son ambition sera de parasiter le maire de la ville. Un mot revient d’ailleurs fréquemment au point de devenir une obsession : 조직 jojik, « organisation ». Le chef-parasite le sait, plus large est la structure contrôlée, plus son pouvoir personnel s’étendra. Les parasites s’organisent en groupe sur la base d’un fantasme individuel commun : tous ont le réflexe inné de manger des cerveaux. Le fait que le leader soit un pasteur n’est par ailleurs sûrement pas anodin et confère une dimension sectaire à l’organisation des parasites, au sens où le soutient Gustave Le Bon (1895) : la secte rassemble des individus « parfois fort différents, n’ayant entre eux que le lien unique des croyances ». La situation n’est pas sans rappeler celle de Hellbound.

Dans Parasyte: The Grey, chaque communauté applique les règles dictées par une majorité dominante, chez les humains comme chez les parasites ; un principe de conformité reconnu par les travaux du psychologue Solomon Asch (1951). En contrepartie, si un individu ne se montre pas utile à la communauté, son existence n’a plus d’importance : la société refuse l’altérité. Ainsi, les individus présentant une singularité psychologique ou idéologique sont exclus du groupe.

Cette stigmatisation de la différence est une des thématiques majeures de la création coréenne, comme en témoigne les œuvres contemporaines : Amande de Sohn Won-pyung et son protagoniste atteint d’alexithymie, rejeté par ses camarades ; le mémoire Je veux mourir mais je mangerais bien du tteokbokki de Baek Sehee, qui met en valeur la pression sociétale pesant sur les individus ; La Fabrique d’excuses de Lee Ki-ho, La Végétarienne de Han Kang… des personnages aliénés pour leur « faiblesse » mentale. À plus grande échelle, la société n’est qu’exercice du pouvoir dominant sur un groupe dominé : riches et pauvres, êtres sains et malades, ethnie dominante et minorités raciales, hommes et femmes…

Mais s’il y a bien une chose que ces œuvres mettent en valeur, c’est qu’être le pouvoir dominant n’est pas synonyme de vérité absolue, loin de là. On l’a constaté avec Hellbound et sa critique de la foi aveugle. En littérature aussi, citons par exemple Résidence Saha (2023, Ed. Robert Laffon) de Cho Nam-joo, et son conseil des sept ministres qui se révèle être une ruse. Lee Hee-young dans Celle que je veux tuer (죽이고 싶은 아이, 2021, Ed. Uri hakkyo), écrit aussi : « Le monde n’écoute pas la vérité. Le monde n’écoute que ce qu’il veut entendre. ». En musique, le rappeur Agust D arrive à la même conclusion dans sa chanson « Strange », issue de l’album D-2 : « Celui qui est sain dans un monde malade est traité comme un mutant, n’est-ce pas étrange ? » Le pouvoir dominant manipule la vérité et décide de la norme. Dans The Grey, c’est en comprenant cela que le chef-parasite choisit de trahir sa propre race.

Ce rejet de la différence se manifeste chez les deux espèces en la personne de Su-in : mi-humaine, mi-parasite, elle est rejetée par les deux groupes. Ayant toujours vécu sa vie peu entourée, Su-in n’arrive pas à faire confiance aux gens. Mais la réalisation de sa nouvelle « condition » parasitaire l’aide à prendre conscience de sa solitude et de son désir d’appartenance. En soit, elle nous rappelle Hyun-su, le protagoniste de Sweet Home, mi-humain, mi-monstre : les difficultés liées à sa double nature se manifestent particulièrement dans la saison 2, dans laquelle Hyun-su et son alter ego se confrontent plusieurs fois. Ironiquement, leur double identité empêche Su-in et Hyun-su de pleinement affirmer leur Soi. Au contraire, leur déviance fait d’eux des exclus et ils ont du mal à construire une identité propre en marge de la communauté. Rejetés par l’Autre, ils n’arrivent pas à s’accepter eux-mêmes.

« Ni moi ni les humains n’acceptons une mutante comme toi. Mais c’est ce qui rend l’organisation humaine puissante. Pour eux, la majorité est normale et la minorité de mutants anormale. Ils renforcent l’organisation grâce au soutien de la majorité. »

(Parasyte: The Grey, épisode 6)

Abandonnée par sa mère, la solitude de Su-in se manifeste dans les premiers épisodes par un rejet de la communauté – cette même communauté qui l’a pointée du doigt enfant pour avoir dénoncer son père pour violences physiques. Peu sociable, elle n’arrive pas à faire confiance aux gens, si ce n’est le policier qui l’a secourue à l’époque. Mais en cohabitant avec Heidi, son parasite, Su-in se retrouve confrontée à ses traumas et à sa peur d’être seule. C’est pour cela que malgré l’acharnement des humains envers sa personne, elle persiste à vouloir les aider. De l’autre côté, la préoccupation d’Heidi est simplement de survivre, et par extension, de protéger Su-in, son hôte. Elle rejette volontairement sa propre espèce, et devient en ce sens l’antithèse du pasteur. Alors qu’elle tient à se tenir hors du conflit, la volonté permanente de Su-in d’aider les humains force Heidi à faire de même. C’est en coopérant que Su-in et Heidi s’ouvrent à l’Autre, et font de leur identité mutante une force, alors qu’il s’agissait au départ d’un facteur isolant.

La solitude se ressent aussi chez d’autres personnages. À travers le personnage de Seol Kang-woo, elle est intimement liée à la perte et la trahison. Kang-woo perd à la fois sa petite sœur, tuée par des parasites, et sa grande sœur, possédée. Il est rejeté de son gang, pour ainsi dire vendu à l’ennemi. Et face à ces multiples traumatismes, sa réaction primaire est de fuir. Plusieurs fois, il songe à abandonner Su-in. Similairement à notre héroïne, la solitude de Kang-woo se manifeste par un repli sur soi et un manque de confiance envers autrui.

« Voilà ce que tu es. Un sale lâche. T’es du genre à trahir ceux qui te font confiance. Non. Tu ne trahis pas. Tu n’oses juste pas faire confiance. »

(Parasyte: The Grey, épisode 4)

En fuyant ses problèmes, Kang-woo cherche peut-être à fuir la peur de perdre ce qui compte pour lui, comme il a pu perdre ses deux sœurs. Se rapprocher d’autrui va de paire avec le risque de les perdre un jour. On ressent sa détresse quant il croit avoir perdu Su-in dans le dernier épisode : il crie, pleure, la serre dans ses bras. La capitaine Choi Jun-kyung, quant à elle, n’est définie que par son désir de se débarrasser des parasites. Ayant perdu son époux, possédé par un parasite, elle a choisi de transformer sa solitude en colère. Elle perd son oreille, et avec cela, son écoute du monde ; elle devient bornée et intransigeante. Son sentiment d’identité ne repose que sur sa haine des parasites : sans ça, elle n’a plus rien pour exister.

La perte force les personnages à réévaluer leur place dans la communauté : se retirer pour fuir la souffrance, ou bien y résister et potentiellement trouver une forme de réconfort ? Heidi le fait remarquer à Su-in dans les dernières minutes de la série : « Que tu le veuilles ou non, tu n’es pas seule.« . Cela peut être vu comme une allusion à leur partage d’un même corps, mais aussi comme une impossibilité de rompre totalement les liens avec la société. L’individu ne peut exister seul, « je » existe parce qu’il y a un Autre.

En accordant davantage d’importance au concept de communauté que ne le fait la source japonaise, Parasyte: The Grey permet de tisser une réflexion sur l’identité, la trahison et la solitude. La série se termine sur un pont avec l’œuvre originelle, soulignant que les deux histoires co-existent dans une seule et même continuité. On se demande déjà quelle direction peut prendre la seconde saison : un combat humains-parasites à l’internationale ? Ou bien un conflit intra-racial ?


Parasyte: The Grey
de Yeon Sang-ho
Netflix, 2024

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.

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