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Résidence Saha

Avec ce thriller dystopique, Cho Nam-joo explore avec réalisme le désespoir des habitants de l'insalubre "Résidence Saha".

La Loi des lignes
Pyun Hye-young, Rivages Noir, 2021.
Cendres et rouge
Pyun Hye-young, Picquier, 2012.
Dans l'antre d'Aoï Garden
Pyun Hye-young, Decrescenzo Editeurs, 2015.

Au sein de la cité-État qu’est Town, la population est divisée en castes. Les L jouissent pleinement de la citoyenneté grâce à leur statut financier ou leurs connaissances utiles à l’État ; les L2 sont des travailleurs exploités qui, en l’absence de ces qualités, ne peuvent être que titulaires d’un titre de séjour à renouveler tous les deux ans – si un certain nombre de conditions sont remplies. Puis, il y a les Sahas, ceux qui ne peuvent même pas rêver d’un titre de séjour, des moins-que-rien limités à vivre dans la résidence Saha, lieu insalubre.

Le roman débute quand Dogyeong, un Saha, se réveille dans une voiture, à côté du cadavre de Soue, sa petite amie. Paniqué, il prend la fuite, conscient des soupçons qui peuvent peser sur lui. Quand l’affaire est relatée par les médias, sa sœur Jingyeong se met à sa recherche.

N’attendez pas de Résidence Saha un Kim Jiyoung n°2. Cho Nam-joo livre ici une critique sociétale bien différente en fond et en forme. Résidence Saha se présente comme un thriller dystopique mettant en scène des personnages désabusés et restreints par leur pauvre condition. Si la quatrième de couverture se focalise sur Jingyeong et Dogyeong, l’intrigue autour de la mort de Soue ne couvre finalement qu’un infime nombre de pages. Le roman tisse davantage une toile temporelle ambiguë entre plusieurs personnages – Umi, Sara, Grande Mamie, Manh, Vieux, Mamie Fleur, Eunjin, Ia – dont les chemins les mènent inéluctablement à la résidence Saha. Au demeurant, leur résilience est la véritable force de ce roman : Cho Nam-joo leur confère un désespoir et une solidarité qui résonnent lourdement dans notre société contemporaine.

« Un jeune homme, qui rampait au sol à la recherche de son œil arraché par un coup de matraque, mourut écrasé par la foule affolée. Les manifestants furent dispersés, écoles, hôpitaux, églises, tout l’ordinaire de leurs existences fut ébranlé. » (p.97)

Dans Résidence Saha, Cho Nam-joo crée un environnement lugubre et digne des écrits de Pyun Hye-young : une ville sous contrôle d’un grand groupe industriel, une étrange épidémie, des problèmes d’immigration clandestine, une stigmatisation des minorités… De quoi rappeler La Loi des lignes, Cendres et rouge, ou Dans l’antre d’Aoï Garden

Nous retrouvons ici la force de l’écriture de Cho Nam-joo, tout en se détachant du style « documentaire » de Kim Jiyoung, née en 1982. Les dialogues sont très éparses, l’autrice donne davantage de poids à la narration, tantôt surchargée, tantôt saccadée – alternant entre la tension et l’urgence. Le rythme convient parfaitement à l’ambiance dystopique. Le problème réside dans la temporalité décousue – passé et présent se confondent, et certaines histoires sont laissées en suspens. Il est presque préférable de prendre chaque chapitre comme une histoire individuelle.

Résidence Saha est une dystopie criante de vérité par le portrait qu’elle peint de ses personnages. À nouveau, dans un style qui lui est propre, Cho Nam-joo se fait la voix des marginaux.


Résidence Saha
CHO Nam-joo
Traduit du coréen par Pierre BISIOU et CHOI Kyungran
Robert Laffon, 288 pages, 19,50€

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.

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