Sokcho, petite ville portuaire à l’extrême nord-est de la République de Corée. Une jeune franco-coréenne employée d’une auberge, tente de se rapprocher d’un client français, dessinateur de bande dessinée. C’est l’hiver, le froid saisit les âmes et les deux héros peinent à communiquer. Leur relation sert de prétexte à la découverte de la vie quotidienne. La poésie des tableaux narratifs, la fluidité du style, l’adéquation du lexique, la construction narrative en chapitres courts comme des instantanés, tout concourt à composer un roman singulier, plus coréen que les romans coréens eux-mêmes, où tous les éléments apparents d’une certaine idée de la société coréenne sont rassemblés. La galerie de personnages d’abord : une héroïne en quête d’identité et de réalisation personnelle, habitée par le han¹, une relation difficile avec une mère possessive, artiste de la découpe du poisson (le fugu, poisson venimeux, on n’est pas loin du Japon), un petit ami aspirant Boy band, façon Hallyu Gangnam style, une cliente, exilée par la chirurgie esthétique, et son ami volage, enfin un dessinateur français, alien inadapté et inadaptable, qui poursuit une quête indéfinie, de trait de pinceau en feuille froissée au fond de la corbeille à papiers. Le cadre aussi : Sokcho enneigé, glacé, pétrifié par le froid de cette province du nord, la proximité inquiétante de la Corée du Nord et l’ombre projetée d’un conflit jamais résolu, mais aussi le rapport à la nourriture, les plats coréens typiques, les jjimjilbang, ou bains publics traditionnels et pour saturer l’atmosphère, « l’incommunicabilité existentielle » des Coréens… Les éléments sont là, surabondants, surexposés, mais l’alchimie romanesque reste en suspens. Car plus qu’un roman, l’ouvrage se déroule comme un album d’images, condensé d’impressions, de sensations, qui réussit à suggérer une représentation hyper réaliste de ce micro-univers, enclos dans le froid, dont ne se départiront pas les deux protagonistes principaux. Un roman dont la tentative ethnographique poussée à l’extrême fige comme la glace l’ambition esthétique.
Malgré l’abondance et la richesse gastronomique des préparations évoquées, on reste sur sa faim : est-ce la volonté de l’auteure, son projet pour ce premier roman publié ? Cet inassouvissement de la lecture, dont le désir est sans cesse avivé par l’accumulation de fragments de vie, est-il l’objectif de sa création ? En tout cas, le roman se referme sur un indéfinissable sentiment d’inachèvement.
1. Le han est spécifique à la Corée. Le terme désigne un état psychologique où se mêlent chagrin, nostalgie. Une sorte de spleen.
HIVER À SOKCHO
DE ELISA SHUA DUSAPIN
Zoe éditions, 144 pages, 15.5 €.
Ce roman m’a fait la même impression. Je l’ai quasiment lu d’une traite en l’espace de 24 heures. C’est un roman rempli d’esthétisme, plein de douceur, de calme. Aucune vague plus haute que l’autre. Tout est dans les détails, tout est dans les petites impressions.
Et nous en avons pour tous les sens : la vue, le toucher, l’odorat etc. C’est une petite merveille.
Chaque paragraphe est lui-même un poème.
Mon seul regret a été une fois terminé ce livre que cet écrivain n’ait pas publié d’autre roman.