C’est le cadet qui rompt le silence. L’appellation Grande sœur, traduite littéralement, installe la relation frère-sœur, dépendance et responsabilité, confiance et affection mutuelles, comme cadre à l’aventure. L’utilisation des couleurs va servir le récit, c’est elle qui donne le ton de l’histoire : le quotidien est donc en gris, sans que cela soit triste ; c’est juste le quotidien, les étagères de livres et de jouets, la télé allumée, on devine la cuisine, avec une table basse dressée pour le prochain repas, ou pour celui qui n’a pas encore mangé… Mais la pluie et la monotonie distillent l’ennui.
La couleur, c’est l’imaginaire, le rêve, le fantastique : la couleur, c’est ce qui déborde le quotidien. Les enfants partagés entre réel et imaginaire portent des vêtements en partie colorés. Le petit garçon installé devant la télé, rêve d’un compagnon, un chiot peut-être ? Mais sa grande sœur le rappelle brutalement à la réalité, en grognant plus qu’en parlant : leur mère n’acceptera jamais. Le petit sans se décourager pour autant, va quand même énumérer toute une série d’animaux comme compagnons potentiels de leurs ternes après-midis, du loup au dinosaure en passant par la girafe ; tous sont plus improbables les uns que les autres, et chacun en surgissant, fait advenir la couleur dans la page saturée de gris. L’auteure lui associe un dessin facétieux pour donner aux réponses laconiques et lapidaires de la grande sœur absorbée dans l’univers de son jeu, la dimension fantastique de l’incongru, de l’éruption des hippopotames joueurs au renversement vertical du sens de lecture pour évoquer le tintamarre des kangourous qui provoque l’ire de la vieille voisine du dessous. Une vision catastrophiste mais hilarante de toutes ces impossibles adoptions, très proche du cinéma d’animation. Jusqu’à ce qu’une répartie plus sèche, de gros sanglots, restaurent la complicité des deux enfants. La grande sœur oublie sa console, et entre dans le jeu, la couleur s’harmonise alors avec le mouvement, jusqu’à saturer la double page, l’imagination se déchaîne, le rire aussi : d’énormes tortues entraînent les petits à la plage, un éléphant improvise une douche générale et ensoleillée ; sur le dos de guépards bondissants, les enfants traversent la savane à toute allure. Enfin la fatigue se fait sentir, et c’est enfoui dans la laine cotonneuse et douce de tout un troupeau de moutons que tout ce bestiaire de compagnie s’endort, entourant les deux enfants ravis.
« Mais que va dire Maman ? s’inquiète le petit frère.
— Ce sera notre secret », le rassure sa grande sœur.
Car c’est comme ça dans la vie : les petits frères et leurs grandes sœurs ont souvent une vie parallèle, dont leurs parents sont inconscients. Comme dans l’histoire de Peter Pan… Voilà un album qui fait du bien, à lire et relire à satiété.
C’EST UN SECRET
PARK HYUN-JOO
La Palissade, 32 p., 13.90€