Lee JiHyeon dessine au crayon de couleur, et son trait fin est en noir et blanc pour évoquer le monde où chacun évolue dans une solitude hostile. Les regards se font méchants lorsqu’ apparaît un petit garçon triste. Une seule tache lumineuse égaye la grisaille : c’est un oiseau mouche, dont les ailes rouges vibrionnent et laissent dans l’air une trace vermillon. L’oiseau dépose la clef d’une porte. Comme dans le poème de Prévert 1, l’enfant voit l’oiseau et le suit, la clef dans la main, jusqu’à une porte, grise, fermée. Après avoir hésité en trois vignettes alignées en diagonale sur la page, l’enfant franchit le pas, il ouvre la porte.
D’une page blanche où le dessin en gris occupe le centre, Lee Jihyeon fait évoluer son récit sans paroles vers la saturation progressive de la double page dans des couleurs de prairie fraîche, où se mélangent feuillages, fleurs et gens heureux. Lorsqu’il passe la porte, l’enfant bute sur l’instrument volumineux et orange vif d’un drôle de musicien qui l’effraye ! Mais alors qu’il s’enfuie quand l’étranger essaie de lui parler, le monde autour de lui s’éclaire de couleur, et il se retrouve nez à nez avec une jeune personne en robe bleu et ruban ! Le dessin reste encore isolé sur la page, comme si Lee JiHyeon prenait son temps. Mais quand l’enfant suit sa nouvelle amie, la double page s’ouvre tout à coup sur un grand pré vert, où s’installent les joyeux convives d’un pique-nique. Dans cet univers où tout semble différent, même les fleurs dans les arbres ressemblent plus à des milliers de roses, et lui, l’étranger, est accueilli à bras ouverts, par des êtres aux allures un peu loufoques, qui parlent un drôle de langage ; il est invité au pique-nique, retrouve le sourire, joue et batifole avec ses nouveaux amis, et participe même à une noce champêtre drôle et inattendue.
Quand l’enfant retourne sur ses pas, et remet la clef dans la serrure, il sourit de bonheur car il sait bien que derrière la porte grise, une autre vie l’attend.
Ode à la différence, cette aventure irréelle pourrait bien être pour le petit lecteur qui la savoure une vraie initiation à l’ouverture aux autres. Et pour ceux qui redouteraient cette différence, l’hospitalité, la gaieté et l’absence totale de jugement dont font preuve les personnages burlesques de cet autre monde pourraient bien permettre une réflexion sur l’accueil et la tolérance.
Finalement, est-ce un rêve, cette belle aventure que nous propose Lee JiHyeon ? Ou est-ce une proposition de vie ? Un splendide album.
1 « Page d’écriture », Paroles, Gallimard, 1954.
LA PORTE
LEE JiHyeon
Editions L’Atelier du Poisson soluble, 56 pages, 19 €.