Le mot jaeyon (자연), composé de deux idéogrammes chinois (自然), signifie « nature, ce qui est tel qu’il est dans toute sa spontanéité ». Cela désigne aussi l’état inné qui est, tel qu’en soi-même, la raison et l’origine de sa présence. Pour les Coréens, la nature est l’ensemble des éléments organiques, la mère de tous les êtres vivants – y compris l’homme –, et l’univers éternel dans lequel la génération et la disparition de toute la création ne cessent de se produire. Les Coréens appréciaient la vie qui s’adapte, s’harmonise et s’assimile à la nature, comme l’eau qui suit son propre cours, modèle et norme de leur vie, non seulement dans la sphère mentale profonde mais aussi dans la vie quotidienne
Le hangeul (l’alphabet coréen) – à l’origine appelé hunminjeongeum (訓民正音) signifie « son juste pour l’instruction du peuple ». Il a été inventé en 1443 par le roi Sejong de la dynastie Joseon (1392-1910). Les lettres de l’alphabet coréen imitent les trois éléments principaux de l’univers : le ciel, la terre et l’homme, tous trois représentant la nature coréenne. En proclamant le hangeul, le roi affirmait : « Il y a les sons dans l’univers, il est ainsi naturel d’avoir des lettres qui correspondent à l’univers. »
Jeong Do-jeon était le conseiller principal de Taejo, le premier roi de la dynastie Joseon. Son poème dépeint bien son caractère assimilé profondément à la nature, tandis qu’il était l’aristocrate le plus puissant, qui s’occupait de toutes les affaires de l’État à tel point qu’il est considéré comme le père fondateur de la dynastie.
Cette chanson de la période de Goryeo chante la vie tranquille dans la nature.
La plupart des peintres d’autrefois s’identifiaient à la nature et ne considéraient pas celle-ci comme un objet. C’est la raison pour laquelle, à l’instar de Paysage en hiver (Sehando, 1844) de Kim Jeong-hui, ils se représentaient souvent dans leurs toiles.
Les plats fermentés sont très présents dans la cuisine coréenne : doenjang, pâte de soja fermenté, gochujang, pâte de piment rouge, ganjang, sauce de soja, jeotgal, fruits de mer fermentés avec de la saumure, makgeolli, alcool de riz traditionnel coréen, etc., le kimchi étant le plus connu. Celui-ci était déjà consommé à l’époque des Trois Royaumes de Corée (-18 à -57 avant J.C.). Les ingrédients qui entraient dans sa préparation étaient le radis, l’aubergine, la courge, la ciboule et la platycodon. Bien que, durant la dynastie Goryeo, les Coréens aient commencé à assaisonner le kimchi avec des épices tels que l’ail, le poivre du Sichuan, le ciboule et un zeste de clémentine, il devait être différent du kimchi d’aujourd’hui faute de piment rouge : ces différents kimchi étaient simplement des légumes saumurés. C’est au 17e siècle que le piment rouge a été introduit dans la péninsule coréenne et que le kimchi a pris la couleur rouge. Plus d’une quarantaine de sortes de kimchi sont déjà présentées dans les ouvrages du 18e siècle. Ce mets lacto-fermenté est reconnu pour sa qualité nutritive. Le chou chinois, l’ail et le piment sont riches en vitamines et matières inorganiques, et la sauce de poisson fermentée, quant à elle, est considérée comme un aliment fortifiant rempli de protéines, d’acides aminés, de calcium et de substances graisseuses. La fermentation lactique très présente dans le kimchi contribue à empêcher sa putréfaction et permet aux hommes de stimuler la lipolyse ainsi que de diminuer l’accumulation des bactéries dans l’intestin.
Une trace écrite qui apparaît dans le Samguk sagi, livre d’histoire coréenne datant du 7e siècle après J.-C., décrit le doenjang et le gochujang comme les deux biens de valeur constituant la dot de l’épouse. Traditionnellement, les Coréens utilisaient le calendrier lunaire et les 24 subdivisions saisonnières dans la pratique de chaque jour et notamment pour l’agriculture. Autour du septième jour du douzième mois du calendrier lunaire, jour qui marque l’arrivée d’importantes chutes de neige, les Coréens, dans les temps anciens – et encore aujourd’hui à la campagne –, fumaient le soja pour faire du malt, appelé meju, qui est l’ingrédient principal entrant dans la préparation du doenjang, du gochujang et du ganjang. Pour produire le doenjang, les graines de soja séchées sont bouillies puis broyées en morceaux grossiers. Cette pâte est ensuite formée en blocs, et ces meju sont exposés pendant plusieurs jours sur les plants de riz secs dans une chambre équipée d’un système de chauffage par le sol (ondol). Pendant ce processus, des plants de riz séchés sont attachés à la surface des blocs de meju et suspendus au seuil de la porte. Ces plants de riz séchés sont une riche source de bactéries. Le processus de fermentation commence à ce stade : les bactéries se reproduisent. Un à trois mois plus tard, les meju sont nettoyés puis mis dans une grande jarre en céramique opaque avec de la saumure et fermentent à nouveau pendant deux mois. Les liquides et les solides sont séparés après cette période. Le liquide noir obtenu devient de la sauce de soja coréenne, le ganjang, et la partie solide le doenjang. Alors que ces deux jang sont considérés comme les sauces essentielles de la cuisine coréenne, aujourd’hui, ils sont fabriqués à la chaîne, la durée de fermentation étant fortement réduite. Lors de la production industrielle du ganjang, les fabricants hydrolysent les protéines de soja pour obtenir les acides aminés et ajoutent du pigment et de l’arome artificiels pour accentuer la saveur du ganjang. Aujourd’hui, le doenjang et le ganjang fabriqués uniformément dans les usines s’emparent de la table coréenne.
De la cuisine à la maison traditionnelle
Le hanok qui désigne la maison coréenne construite selon le style architectural traditionnel prouve toujours sa compatibilité avec l’environnement. L’architecture coréenne prend en considération le positionnement de la maison par rapport à la topographie environnante afin d’éviter d’abîmer la nature. La direction et la structure des maisons, soit le style tchogajip des gens du peuple, soit le style hanok des nobles et des gens riches, étaient décidées après avoir pris en considération certains aspects importants tels que la distance et l’alignement avec les montagnes et les champs : ce sont les principes de la géomancie, appelés Pungsujiri. Cette théorie de la géomancie n’est pas une simple superstition mais plutôt pour les Coréens une philosophie qui consiste à choisir les bons paysages et les sites propices en considérant que la terre est une énergie animée qui élève toutes les créatures et influence le corps et l’esprit, le bonheur et le malheur des hommes. Selon cette idée, les Coréens considèrent qu’une maison ayant pour arrière-plan une montagne et faisant face au sud avec une rivière et une plaine devant est idéalement située. Cette exposition permet de s’approvisionner en bois pour l’hiver, de ramasser des herbes aromatiques et médicinales à la montagne et de cultiver le riz à la plaine. Situé à Damyang, ville au sud de la province de Jeolla, Soswaewon est un jardin typique coréen qui se marie très bien avec la nature environnante, dont de grands rochers, un étang et un bâtiment sont en harmonie avec le paysage.
La structure des maisons de type hanok est faite de matériaux naturels : bois, argile, pierres. Pour construire le bas, les pierres angulaires sont mises sur la terre tassée puis des piliers sont bâtis avec du bois séché naturellement à l’ombre. Ce style d’architecture dure si longtemps que certains édifices traversent plusieurs centaines d’années, tels que le temple Muryangsujeon âgé de plus de 600 ans ou le hall principal du temple Buseoksa situé à Yeongju, au nord de la province de Gyeongsang. Dans les pièces, le système d’hypocauste, appelé ondol en coréen (ou encore kudeul), diffuse la chaleur par le sol sous lequel circule la fumée provenant du foyer de la cuisine ou d’un foyer particulier. Le kudeul maximise l’efficacité thermique car il est capable de garder longtemps la chaleur de l’intérieur. Au contraire, la chaudière des canalisations dans les appartements modernes réchauffe et refroidit rapidement l’intérieur.
Le goryeo cheongja, céladon de la dynastie Goryeo, est la céramique de couleur verte considérée comme un symbole de beauté et de savoir-faire artisanal dans la catégorie des céramiques coréennes. Cette porcelaine bleutée provient d’une excellente argile choisie avec discernement. Le processus suivant consiste à tourner la roue de potier pour former la poterie, graver plusieurs motifs sur la surface de la poterie et à y incruster plusieurs matériaux. Après l’incision du motif désiré sur l’argile pas encore sèche, les sillons sont emplis d’engobe blanc ou rouge (pendant la cuisson, l’argile banche restera d’un blanc de neige tandis que l’argile rouge deviendra noire). Ensuite elle est cuite à une température de 850 degrés, émaillée, puis cuite de nouveau à plus haute température, entre 1 200 et 1 250 degrés. Le goryeo cheongja est alors le résultat d’un patient travail. Les pots aux lignes très pures, la sophistication des décors, la subtile couleur bleu-vert et la technique raffinée et unique valorisent l’art de la céramique coréenne.
Depuis toujours, les Coréens essayaient de réaliser la nature dans leur vie en se gardant de la contrarier. De même, ils se méfiaient du caractère et du sentiment de précipitation, comme en témoignent les proverbes : « Tout ne peut être satisfaisant en une seule fois. », « (Parcourir) un chemin de mille li, en commençant par un pas. » et « la goutte d’eau finit par creuser le roc ». La légende ancestrale de Dangun montre également la vertu de persévérance : Un tigre et un ours prièrent le fils du dieu du ciel, Hwanung, de les transformer en êtres humains. Il leur donna vingt gousses d’ail et un bouquet d’armoise en leur ordonnant de prier les Dieux pendant cent jours, enfermés à l’abri de la lumière du soleil, et de se nourrir de ces seuls aliments. Les deux animaux s’enfermèrent dans une grotte et l’épreuve débuta. Au bout d’une vingtaine de jours, le tigre n’en pouvant plus abandonna son rêve de devenir un homme et s’enfuit de la grotte. L’ours en revanche endura l’épreuve jusqu’au bout, et s’en trouva récompensé et transformé en une très belle femme. Hwanung l’épousa et elle accoucha d’un garçon que l’on nomma Dangun, qui allait devenir le premier ancêtre du peuple coréen.
Cependant, que deviennent les Coréens de nos jours ? Le désir d’argent envahit la Corée depuis la brusque industrialisation capitaliste à la fin du 20e siècle. Aujourd’hui, les Coréens donnent la primauté à l’argent avant toute autre valeur. Rien ne vaut les activités commerciales pour lesquelles ils consument la vie et font flèche de tout bois. Ils s’installent profondément dans une façon de vivre et de penser « Vite, vite ! » ; il en résulte des catastrophes nationales, comme celles de l’écroulement du pont Seongsu ou du grand magasin Sampung. Uniformisés à l’américaine, les modes de vie forcent à parler parfaitement l’anglais pour gravir l’échelle sociale. Le néolibéralisme apparu après la crise économique de 2007 stimule la bipolarisation entre riches et pauvres, la solidarité refroidit et la compétition surchauffée étouffe les gens. Le pouvoir d’État de connivence avec le capitalisme est implacable à l’égard de la nature au nom du développement (l’exemple du projet d’aménagement des quatre grands fleuves) et il a récemment engendré l’événement désastreux du Sewol, le bateau qui a sombré avec des lycéens. Maintenant, les Coréens recherchent avec désespoir leur nature égarée.
Les anciens se conformaient à l’ordre et au cycle de la nature en la remerciant infiniment, et défendaient dans la péninsule une culture et une civilisation uniques au monde. L’homme coréen moderne toujours pressé aurait besoin de se rappeler l’esthétique du calme et de la lenteur des ancêtres et de se livrer à l’introspection pour récréer une culture et une civilisation partagées autrefois d’une manière organique avec la nature et avec les autres. N’oublions pas qu’un grand moteur de la philosophie était le calme dans la lenteur qui permet à l’humanité de réfléchir à l’univers et à l’existence. L’enfer où l’on se fait l’adversaire des autres et de la nature ne pourra jamais faire partie de l’univers humain. De plus, il serait honteux de laisser cet enfer en héritage aux générations futures.
Par KIM Hyo-moon, poète et philosophe
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