La double page blanche traversée par une oblique qui cherche son point de fuite comme le ruban d’une route qui fuit vers l’infini, voilà comment commence cette aventure. Quelqu’un appelle : « Venez par ici. » Ici, c’est à l’ombre d’un large tronc dont on verra que la base, et à petits pas, s’avancent le renard et l’ours. Ils ont manifestement la démarche légère des animaux des bois, leur museau fin pointé vers la fraîcheur sans doute, griffé à petits traits de crayon bien taillé ; ils s’étalent et se roulent dans le ruban, fourrures grises dans l’ombre brune, couleur de pénombre. Bientôt rejoints par un bestiaire varié, girafe et raton-laveur, lion, singe ou crocodile, multitude bigarrée en monochromie grise, où la diversité se distingue par l’angle utilisé de la mine, et l’intensité de la couleur appliquée. C’est étonnant, ces animaux qui appartiennent à des mondes si différents sont réunis là, dans cette diagonale d’ombre, et ils partagent cet asile pour une bienheureuse sieste, « si douce », dit le texte. Une tortue qui met son temps, atteint la bordure de l’ombre alors que celle-ci commence à rétrécir, et peu à peu, inexorablement, l’ombre se tasse et les animaux se rapprochent, se serrent, s’empilent bientôt, formant une pyramide de cirque d’abord improbable et brouillonne, puis savamment agencée dans le rectangle minuscule. Pour les distinguer, poil gris sur ombre brune, Chae Seung-yeon joue de la variété de leur pelage, de la densité différente entre la crinière et les flancs du lion, les défenses et la trompe de l’éléphant, les taches de la girafe et les écailles du crocodile : tout est dans la finesse du trait qui suggère la différence.
Il n’y a plus aucune ombre : seul l’éclat probable d’un soleil invisible fait briller les grains de sable sur la plage de la page. Alors l’enfant est là ; et avec lui la réalité se dévoile, et la couleur reprend ses droits. Un grand parasol vert est installé au-dessus des jouets empilés, et sous l’ombre fraîche de ce nouveau feuillage, tous se rendorment, soulagés.
Un texte minimaliste mais essentiel, les mots de l’enfant qui joue ; un dessin à la fois sobre par le choix d’une palette réduite et la figuration des animaux toute en finesse, et prolifique aussi par la variation multiple mais toujours précise du trait : cette petite aventure a beaucoup d’atouts pour charmer et faire rêver le lecteur. Il y reviendra sans doute, avide d’en découvrir davantage, soucieux de ne laisser échapper aucun de ces tout petits traits magiques. Un pur moment de bonheur.
UNE OMBRE
CHAE SEUNG-YEON.
Editions L’Élan vert, 44 pages, 13.9 €