Le 16 avril 2014, un ferry emportant notamment des lycéens en session de rassemblement coulait au large de la région du Jeolla, près de l’île de Jindo. Tandis que le bateau renversé emprisonnait une grande majorité de lycéens, le capitaine prit la fuite abandonnant les victimes. Les secours tardèrent à s’organiser, faute de directives au plus haut niveau et tandis que des vies pouvaient être encore sauvées, c’est la confusion qui l’emporta lors des opérations de secours. Le bilan fut terrible : 304 morts, principalement des lycéens. La télévision filma les opérations de sauvetage et le pays put assister en direct à ce que l’on devinait être l’agonie des enfants. Cette catastrophe ébranla le pays. Les manifestations des parents consécutives à l’accident se multiplièrent, jusqu’à prendre souche sur la grande place de Gwanghwamun à Séoul où des tentes furent érigées et y restèrent de nombreux mois. Le pape en visite en Séoul un mois après la catastrophe s’arrêta pour saluer et soutenir les parents en colère. Dans le pays, la compassion fut à la hauteur de la tragédie. On se souvient des rubans jaunes accrochés ici et là, le long de la rivière dans le centre de la ville. Ce fut le début de la crise de confiance dans la présidente Park Geun-hye, incapable de justifier son inaction, aussi bien que le trou dans son agenda au moment du naufrage. Cet évènement provoqua la haine d’une majorité de Coréens envers la présidente.Trois années plus tard, cette haine toujours vive, combinée aux détournements de fonds dont elle se rendit coupable, furent à l’origine de sa destitution. Aujourd’hui encore, les plaies ne sont pas tout à fait refermées et le souvenir du Sewol est vif. oui, beaucoup d’enfants auraient pu être sauvés.
Kim Tak-hwan, à qui l’on doit Les romans meurtriers s’est saisit de cet évènement et au cours d’une véritable enquête journalistique autant que policière. Il donne la parole à l’un des plongeurs professionnels, volontaire chargé de remonter à la surface les corps des enfants. On suit à la trace la douleur consécutive à chaque plongée, douleur physique, douleur mentale, le danger de nager dans une épave (à cet endroit la mer est très dangereuse), sans aucune visibilité, et l’éprouvante épreuve de la remontée des corps. On suit avec autant d’effroi que de colère la souffrance du plongeur-narrateur, quand il décrit le quotidien des plongeurs, la désorganisation ambiante, le désarroi des parents, les accusations d’enrichissement dont ils sont l’objet, bref, rien de réjouissant dans la lecture. On découvre, à suivre l’enquête, la difficulté du métier de plongeur, les mille maux qui les assaillent, les séquelles que plusieurs d’entre eux porteront, souvent à vie. On lit d’un trait ce livre reportage, d’une écriture fluide, bien servie par la traduction de François Blocquaux et Lee Ki-jung, tandis que défilent dans notre souvenir les visages de ces parents ravagés par la douleur, les manifestations contre la présidente de la République, à la lueur des bougies. Et si devant l’incurie gouvernementale notre colère s’étale de page en page, on retient surtout de ce livre le courage des plongeurs et la foi dans l’humanité qu’ils peuvent encore insuffler.
LES MENSONGES DU SEWOL
KIM TAK-HWHAN
Traduit du coréen par François BLOCQUAUX et LEE Ki-jung
L’Asiathèque, 288 pages, 19.50 €
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