Autrefois, à la façon dont on donnait l’hospitalité à un voyageur de passage (길손), en l’hébergeant dans la chambre d’amour, croirait-on, (사랑방, partie masculine de la maison, servant aussi à l’accueil des invités), on pouvait estimer la générosité d’un village. Générosité, un maître-mot dans la culture coréenne. Signe d’élégance mais aussi marqueur social, le terme s’est faufilé dans la culture sans que le langage soit venu lui porter secours. Et s’il est abusif de généraliser, bon nombre de voyageurs attesteront de la générosité des Coréens. Ainsi, cette dame âgée, très pauvre, que nous visitions lors d’une tournée dans le Jeolla du Sud, nous étions trois personnes, découpa une orange en quatre quartiers, en signe de bienvenue. C’est sous les auspices de la générosité que se place ce très beau livre. Lee Hee-kyung est née en Corée, vit en France, et effectue lors de ses séjours estivaux en Corée, une série de photographies qu’elle classe ensuite en thèmes sur lesquels elle appose des textes, de ceux qui vous remuent, vous placent dans un état de disponibilité que les images accueilleront plus tard. Poésie et photographies s’entrelacent.
Dans le chapitre Adresse provisoire, l’autrice découvre avec surprise un village nord-coréen en Corée du Sud. Le traversant, elle photographie des murs peints, représentant des scènes de la vie quotidienne, particulièrement des scènes de travail : visages impavides, douleur rentrée, ces femmes et ces ombres portant bassine où panier sur leur tête sont-elles nord-coréennes ? Plus loin, des photos de danses des masques, scène chamanique, poissons peints démesurément agrandis. Et un texte si beau, qui dit la douleur de l’attente du retour en terre natale, des enfants qui vieilliront peut-être sans connaître leur patrie d’origine. Dans un autre village perché, les fresques représentant des époques différentes semblent recouvertes de couches de chaleur, de lumière, de sourires et de clins d’œil. Une maison annonce fièrement qu’elle offre la dernière fresque du village, le dernier cadeau fait au visiteur. Et toujours ce regard de l’autrice qui, de trois mots télescopant passé et contemporain, laisse surgir l’histoire de la Corée. Au numéro 23 d’une rue, deux adolescents garçon et fille se font face, rieusement, le désir affleure, vont-ils se donner un baiser ?
Fresque à l’abord de la vie, fresque des souvenirs heureux. Plus loin en hommage au carreau peint, dans un couloir de métro à Busan, dans un village, sans doute Damyang, fresque de carreaux, singulier émergeant de la multitude, rappelle une autre fresque de photographies dans le film de Paolo Sorrentino, La grande belleza, un enfant devenu adulte photographié par son père chaque jour de sa vie. Lorsque l’autrice quitte les murs graffités c’est pour nous offrir de superbes photographies d’objets du quotidien, de caractères chinois gravés dans la roche, de plans superposés dans les temples de montagnes. Et toujours la poésie du quotidien, que je vous invite à lire préalablement à votre visite photographique. Ces textes qui ouvrent le cœur avant d’ouvrir les yeux, qui annoncent des images qui à leur tour confirment la beauté des textes. Le livre se clôt avec Séoul, la ville de l’autrice, où elle est née, où elle a fait ses études dans la Corée contestataire des années 90 et où elle rend hommage à ses aînés, les contestataires des années 70-80 quand ils risquaient leur vie dans les manifestations. Et dans ces rues qu’elle a autrefois parcouru au pas de charge, ces murs sur lesquels elle a collé tant de tracts, elle voit « Séoul respire de nouveau regard ».
Il faut lire ce magnifique livre, il faut l’offrir, c’est deux cadeaux en un que vous ferez. Il est disponible dans les librairies indépendantes de Lyon, dans votre librairie (Isbn 979-10-699-8086-0) ou bien en écrivant à : sociopoetik@yahoo.com
Graffiti et poésie spontanée en Corée
LEE Hee-kyung
Sociopoetik, 232 pages, 29€