Amateur de bonne chère, de vin, de cigarillos, de jazz, d’humour, de rire, de bavardage amical… Jean Bellemin-Noël appréciait les plaisirs de l’existence, et du monde qui l’entourait.
Passionné de littérature. Il aimait lire, écouter, écrire. Il adorait le charme des petites choses presque imperceptibles cachées dans les recoins du texte qui n’attirent pas toujours l’attention des lecteurs. Il s’enthousiasmait à les percer avec délicatesse, à les ressentir, à les mettre en exergue et à les partager avec ses lecteurs. Cette générosité, cette subtilité spirituelle étaient la source même des forces qui l’a conduit à poursuivre ses recherches en textanalyse, sa méthode de critique psychanalytique à laquelle il s’est voué durant toute sa vie littéraire. Il a écrit une vingtaine de livres, de Vers l’inconscient du texte, Gradiva au pied de la lettre, entre autres, à Plaisirs de vampire et Lire de tout son inconscient. Comme ce dernier titre le dit, il s’est investi jusqu’au fond de son être dans sa lecture.
C’était aussi un homme de raison. La raison pour lui n’était pas un instrument rigide, destiné à passer un objet au crible, mais plutôt une façon de se tenir à distance de ce qui se passait en lui pendant sa lecture et qui risquait parfois de susciter l’angoisse, la peur ou le malaise, soit une résistance. Soucieux de faire entendre ses messages à ses lecteurs, de leur faire entendre avec plaisir ce qui se passe en eux-mêmes, il s’était rendu compte de l’importance du style dans son écriture critique et avait su y mettre un zeste d’humour. Ainsi est né un sujet écrivant et fantasmant. Avec son écriture productrice de fantasmes, sa textanalye devenait elle-même de la littérature, et lui, à la fois jouisseur et créateur d’un champ fantasmatique.
Cette passion pour la littérature et ce goût de l’écriture l’avait conduit à la traduction de la littérature coréenne. Nous avons traduit ensemble seize livres pendant une vingtaine d’années, et reçu deux prix, l’un du Literature Translation Institute of Korea avec Pour ne pas rater ma dernière seconde et l’autre de la Daesan Foundation avec Interdit de folie.
Mon cher maître, mon cher ami, Jean que j’ai connu pendant plus de trente ans, quelle chance j’ai eue de t’avoir rencontré ! Maintenant, nous devons te laisser t’en aller. Comme un poète coréen a écrit dans un de ses poèmes, moi aussi, je crois à nos retrouvailles. Dans l’autre monde, nous parlerons de tout ce que tu aimais, et encore de littérature. Au revoir cher maître, au revoir Jean.
Ae-young CHOE