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La déesse qui rêvait du ciel

De la guerre de Corée aux années Park Chung-hee, Crystal Hana Kim décrit la modernisation du pays à travers les espoirs, désillusions et regrets des membres d’une famille.

Zainichi
Coréens vivants au Japon, notamment depuis la colonisation japonaise (1910-1945)

Pour son premier roman, Crystal Hana Kim a de l’ambition : les deux décennies qu’elle choisit de traiter, du début des années 1950 à la fin des années 1960, sont marquées par des événements créateurs de traumatismes pour des générations de Coréens. Pour saisir l’impact de la guerre, des régimes autoritaires et de la modernisation sur les individus, l’auteure produit un roman historique alternant les points de vue des membres d’une même famille. Si cette structure vous semble familière, c’est normal : l’une des plus grandes sensations littéraires sud-coréennes des dernières années, Pachinko de Min Jin Lee, est articulée de la même manière. Mais n’ayez crainte, les thèmes abordés ainsi que la période couverte divergent, Pachinko traitant principalement de la question d’identité chez les Zainichi.

L’auteure débute son roman en nous plongeant au cœur de la guerre de Corée, dans un camp de réfugiés à Busan, où vivent Haemi, sa mère et son frère. Entre précarité, menace de la guerre et incertitude de l’avenir, les sorties nocturnes qu’elle s’octroie avec Kyunghwan, son ami d’enfance, sont un véritable échappatoire pour la jeune fille. Tandis que leurs sentiments évoluent, le cousin de Kyunghwan, Jisoo, décide de courtiser Haemi. Pour celle-ci, ce mariage pourrait être la solution pour sortir sa famille de la misère, d’autant plus que son petit frère est gravement malade. 

Pour aborder cette période difficile, l’auteure choisit de dresser le portrait de personnages, aussi admirables que détestables, mais surtout malmenés par l’Histoire avec un grand H. Ainsi, à travers Jisoo et Kyunghwan, on découvre l’hésitation à s’enrôler dans l’armée ou encore la difficulté du retour à la vie civile. Quant à Hyunki, le petit frère d’Haemi, il est la figure de l’étudiant manifestant contre le régime de Park Chung-hee. 

Le personnage le plus intéressant et le plus complexe reste celui d’Haemi. Vive et débrouillarde, elle sacrifie son amour de jeunesse pour subvenir aux besoins de sa famille. Mais plus l’histoire avance, plus on sent Haemi perdre pied. Tandis qu’elle a du mal à endosser son rôle de mère, elle ne peut s’empêcher de penser à Kyunghwan. De plus, Haemi est celle à qui la modernisation pose le plus de problèmes. Ainsi, celle qui préfère les hanboks aux robes modernes et la nourriture coréenne aux repas italiens est complètement dépassée quand elle se rend à Séoul, là où les gens sont trop pressés, les rues trop larges, les bâtiments trop hauts, là où tout va trop vite…

« j’eus envie de leur crier dessus. Leur crier que je n’avais que trente ans, que mon nom était Lee Haemi, et que la manière dont on parlait ici – d’une voix monocorde, sans la moindre inflexion – était dépourvue de vie. » p. 360

Crystal Hana Kim nous décrit des personnages qui ont vu leur monde complètement bouleversé : au lieu d’assister à un rétablissement de leur pays, ils ont vécu une mutation qui ne les a pas laissés indifférents. Aucun d’entre eux n’a plus de quarante ans à la fin du roman et, pourtant, ils semblent être plus vieux, abattus et coincés dans leurs souvenirs et une vie qu’ils auraient pu avoir.

« Je ne voulais plus rien savoir. J’étais lassée par les possibilités qui nous avaient été offertes au cours de cette vie, par la brutalité avec laquelle même ces infimes chances s’étaient estompées. » p. 381 

Tandis que de nombreux lecteurs se tournent vers une littérature feel good en période estivale, Crystal Hana Kim nous propose de découvrir un roman historique déchirant. Nommé dans la liste des « meilleurs livres de l’année » par The Washington Post, La déesse qui rêvait du ciel n’hésite pas à évoquer les répercussions de l’Histoire sur des individus et sur les relations qu’ils entretiennent entre eux. 


La déesse qui rêvait du ciel
Crystal Hana Kim
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Suzy Borello
Éditions Hauteville, 2024
480 pages, 19,95€

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