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Une journée dans la vie du romancier Gubo

Park Taewon décrit ses déambulations dans les rues de Séoul sous l'occupation japonaise dans cette œuvre majeure des années 1930.

Honneur à cette publication tant attendue, abondamment illustrée et cartographiée, prouvant une fois de plus que le texte et l’image peuvent cohabiter harmonieusement. Le lecteur pourra suivre Gubo dans les quartiers de la capitale, dessins et photographies d’époque l’aideront à situer la déambulation. De nombreux encadrés permettent de comprendre le contexte de l’époque. Le roman est précédé d’une longue introduction d’Alain Delissen, précisant à la fois le contexte littéraire de l’époque et le travail de l’écrivain.

Ce texte de Park Taewon est un des plus célèbres de l’histoire de la littérature coréenne, un fleuron de la Corée coloniale des années 30. L’auteur décrit sur une journée son errance dans Keijo (Séoul, rebaptisée par les Japonais) au temps de l’occupation japonaise. De tableau en tableau, nous assistons à une peinture de l’époque, découvrons le nom des quartiers sous l’emprise coloniale, la déambulation d’un romancier en quête de roman, mais aussi d’amour et d’une mère à rassurer. Le ton est donné page 37, où Gubo dans le bus ignore l’endroit où il vient de descendre, et surtout à quel arrêt peut bien attendre son bonheur. L’indécision de l’apprenti romancier n’a d’égale que son indécision à choisir un but quand on n’a pas de destination particulière et qu’on s’interdit de descendre inconsidérément du bus. La vie sous l’occupation japonaise n’est pas nommément décrite, bien que l’œuvre soit engagée mais non militante, sinon au détour d’une phrase à laquelle on ne s’attend pas : Gubo ressentant la solitude devant la grande gare, alors qu’il espérait l’endroit plein de vie, d’émotions et de souffle, comme au temps du vieux Séoul, avant l’occupation japonaise. La déambulation solitaire favorise le soliloque et Gubo ne s’en prive pas. La marche n’est-elle pas un exercice de pensée ? La marche ne se prête-t-elle pas à s’ouvrir à l’autre, à l’inconnu, à la poésie comme avec ce tanka de Takuboku (p.79) ?

Tristesse de savoir que tout le monde a un chez soi
Comme la tombe vers laquelle on se dirige
Une fois rentré c’est pour s’endormir.

Mais là déambulation renvoie aussi à sa propre solitude :

« Dans les yeux à demi fermés du petit chien, il semble se cacher une grande solitude. Et avec cela, une profonde résignation et un grand renoncement.«  (p.70)

En ces temps de fades livraisons, il faut s’accrocher à Park Taewon comme à une bouée de secours.


Une journée dans la vie du romancier Gubo
Park Taewon
Traduit du coréen par Simon Kim
Atelier des Cahiers, 2024, 9,90 €

1 commentaire

  1. Monique Fontaine Landry dit :

    Toujours aussi fascinant. Vraiment triste et touchant de vérité !