Cet article contient des spoilers concernant la série Sweet Home, le manhwa éponyme, et le webtoon Le garçon au fusil.
Le drama coréen a incontestablement conquis un large public à l’internationale, Netflix l’a bien compris : au début de l’année 2023, la plateforme de streaming publiait un communiqué annonçant la mise en avant de productions coréennes dans leur catalogue à venir, justifiée par l’immense popularité de séries comme Squid Game : « Au cours de l’année passée, les séries et les films coréens ont régulièrement figuré dans le Top 10 de plus de 90 pays, et trois des séries Netflix les plus regardées proviennent de Corée. ».
Largement en tête de cette tendance, le thriller et l’horreur séduisent par leur rythme soutenu et leurs visuels travaillés, tout en illustrant les angoisses et insécurités contemporaines : Squid Game (2021) et les inégalités économiques en Corée, The Glory (2022) et le harcèlement scolaire, Mask Girl (2023) et la société d’apparence…
Sweet Home (2020), série sortie un an avant la folie Squid Game, n’est pas non plus à plaindre en termes de popularité : elle fut la toute première série sud-coréenne à entrer dans le Top 10 de Netflix aux États-Unis (Top 8 lors de sa sortie, puis Top 3). La sortie de la saison 2 témoigne d’un engouement fragilisé, puisque le drama se hisse à la quatrième position du Top 10 Mondial des séries non-anglophones, à laquelle il restera deux semaines avant de tomber dans l’oubli. Et pour cause : la saison 2 fut une majeure déception autant au niveau scénaristique que visuel.
Alors la saison 3 rattrape-t-elle les choses ?
D’abord, petit rappel : Adapté du webtoon éponyme, Sweet Home suit le personnage de Cha Hyun-su, un jeune paria emménageant seul à la résidence Green Home suite au décès de ses parents et sa jeune sœur. Victime de harcèlement scolaire, il se coupe totalement du monde extérieur. Son isolement à la fois volontaire et vécu se solde par un sombre questionnement : « Et si je me tuais ? ». Mais son suicide devra attendre : au-delà des murs de l’appartement 1410, une mystérieuse épidémie transforme les gens en créatures difformes. Hyun-su ainsi que plusieurs de ses voisins vont devoir s’allier pour espérer survivre.
Ce qui a rendu la série si populaire à sa sortie en 2020 – tandis que nous vivions nous-mêmes dans un contexte épidémique –, c’est la construction du récit et des personnages, le développement des relations interpersonnelles, la variété de monstres, et une bande-son dynamique pour appuyer les scènes d’action. Dès ses débuts, la série se détachait de l’œuvre originelle par endroits : si certaines altérations donnent ainsi plus de poids aux personnages, comme pour Eunyu et Eunhyuk, d’autres desservent l’intrigue, comme la romance entre Hyun-su et Ji-su qui est un point narratif majeur dans le webtoon. Malgré cela, la saison 1 fut particulièrement bien reçue par les lecteurs du manhwa et les nouveaux venus.
Malheureusement, difficile d’en dire autant de la suite de la série. Le défaut majeur de la saison 2, sortie le 1er décembre 2023, c’est la multiplicité des intrigues et des personnages, si bien que les protagonistes de la saison 1 sont relayés au rang de caméos : Hyun-su disparaît de l’épisode 3 jusqu’à la toute fin de l’épisode 6 ; Son Hye-in, la propriétaire du chien Bom, meurt hors-écran ; le personnage de Ji-su est un gâchis total quand on connaît son importance dans le webtoon. Autre exemple : Seo Yi-kyeong, absente du webtoon, était une addition appréciée dans la saison 1. En revanche, ici, elle ne possède plus aucune existence propre. Elle donne naissance à une enfant-monstre aux pouvoirs spéciaux qui sera l’un des antagonistes de cette saison, et c’est tout. La pompière intrépide que nous connaissions est devenue une énième figure du sacrifice maternel, tandis que Seo Yi-su, sa fille, ne rend l’intrigue que plus déconstruite.
Et si l’inspiration derrière ce personnage inutilement ajouté est Zero, du webtoon Le garçon au fusil, alors c’est raté, et surtout, illogique. Le rôle de Zero dans Le garçon au fusil, préquel de Sweet Home, n’est pas des moindres puisqu’il est à l’origine du phénomène de « monstrification »– Seo Yi-su semble tenir un rôle similaire au vu de ses pouvoirs, mais l’effet produit est loin d’être le même. En outre, Netflix a décidé que le gouvernement aurait sa responsabilité dans l’origine de l’épidémie de monstres – ce qui diffère bien entendu du manhwa.
En parlant de monstres, autre déception : ils sont bien peu présents dans la saison 2, puis réduits à une apparence de zombies dans la saison 3, ce qui est bien navrant quand la diversité des créatures rendait les combats stressants et imprévisibles dans la saison 1.
La saison 3 a-t-elle néanmoins réussi son mea culpa ? Sur certains points, oui. Sortie le 19 juillet 2024, elle redonne de l’importance aux personnages de la saison 1 : le trio Hyun-su, Eunhyuk et Eunyu est de nouveau au premier plan de la saison, ce qui manquait cruellement à la saison 2. Les militaires introduits lors de la saison précédente, inexistants eux aussi dans le webtoon, ont droit à un meilleur développement pour ce final. Pour le reste des intrigues de la saison 2, nous avons toujours du mal à ressentir de l’empathie – certains personnages sont mêmes complètement oubliés.
Difficile aussi de ressentir un quelconque sentiment d’urgence pendant le combat final. La mort de Yi-su est sans impact, et le sacrifice suggéré par Eunhyuk est si vite résolu que nous n’avons même pas le temps d’avoir peur pour lui. Alors que Hyun-su s’oppose à son sacrifice, Sang-wook, le « gangster » de la saison 1, toujours présent dans son propre corps, choisit ce moment pour ramper héroïquement vers les flammes de lui-même et ainsi tuer Nam Sang-won. Une facilité scénaristique bien pratique. Mais là où la série déçoit profondément, c’est à quel point la fin est bâclée : un montage photo et un dernier plan des trois protagonistes principaux suffiront à clôturer la série.
Concrètement, c’est bien le trio original Cha Hyun-su, Lee Eunhyuk et Lee Eunyu qui porte la saison 3 sur leurs épaules. L’ultime phrase du dernier épisode, prononcée par Eunhyuk, montre à quel point l’amour fraternel est central à la série et donne toute sa signification au titre : « Pendant que le temps s’écoule sans fin, il nous faut un endroit où patienter et un endroit où revenir. Nous avons décidé d’appeler cet endroit Sweet Home. ».
En définitive, les saisons 2 et 3 semblent à des années lumières de la saison 1 en termes de fond et de forme, ce qui est bien regrettable. En voulant à tout prix s’éloigner du webtoon, la série manque de profondeur et d’explications – explications qui sont données dans la préquelle de Sweet Home, Le garçon au fusil. Peut-être aurait-il fallu prendre connaissance de l’ensemble de l’univers de Carnby Kim pour pouvoir en retranscrire les subtilités sur écran. On comprend que Nam Sang-won et Seo Yi-su sont un peu les équivalents de One et Zero respectivement, mais les amener si loin dans l’intrigue alors que One et Zero sont à l’origine même de la monstrification affaiblit grandement le scénario.
En outre, aucune profondeur n’est donnée à l’existence des néohumains, alors que le conflit potentiel avec les humains aurait été une bonne conclusion. Dans une interview, le réalisateur Lee Eung-bok révèle qu’Eunhyuk, devenu néohumain, aurait été blessé par des humains lors d’une scène supprimée. C’est justement ce genre de développement qui aurait fait écho à la force de la saison 1, ce qui est dommage. On aurait ainsi pu prendre plus de temps pour s’étendre sur le retour d’Eunyu à la fin de la saison, la reconstruction de Green Home, et la cohabitation entre humains et néohumains.
Sweet Home, saison 3
Réalisée par Lee Eung-bok
Disponible sur Netflix
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