Avec sa belle reliure et ses pages de garde « à l’ancienne », l’attirante couverture du roman graphique affiche deux silhouettes de profil sur le ciel rose de l’aube, deux représentants d’un temps révolu : un jeune étudiant en uniforme à casquette et à boutons dorés, avec à son bras semble-t-il, une jeune fille aux cheveux coupés et aux fins sourcils, vêtue d’un haut de hanbok sur une jupe à carreaux. Un voile derrière eux masque un paysage urbain au loin. Ils sont sous la lumière d’une lune encore brillante : bienvenue dans le monde enchanté de Yudori.
Dans ce premier volume de ce qui est annoncé comme une série par l’éditeur, Yudori charme le lecteur de son dessin précis, précieux, presqu’hyperréaliste, pour mieux lui faire découvrir la période complexe de l’occupation japonaise de la Corée. Dans la ville de Gyeongseong, en 1929, le Japon règne en maître depuis bientôt trente ans, réduisant l’ancien Royaume de Joseon en servitude. Les Yangban, anciens maîtres déchus, disparaissent dans la misère, quand d’autres commerçants, trouvent bien des arrangements avec le pouvoir pour s’enrichir et profiter du développement et de la modernité issus du XIXè siècle.
C’est ainsi que le père du héros est mort rongé par l’alcoolisme et la rancœur, quand M. Jo, le père de la jolie Arisa est devenu un bourgeois, riche et considéré, qui envoie sa fille au lycée Ehwa, chaperonnée par Seomoon, qu’il a recueilli avec sa mère devenue sa domestique. Le jeune homme qui découvre les classiques européens et parmi eux La Dame aux Camélias, est amoureux d’Arisa la coquette, qui s’affranchit de jour en jour.
© Yudori/Delcourt, 2024
Clairement destiné à un public Young Adult, ce premier volume pose les bases historiques sur lesquelles se déroulera l’aventure d’amour entre les jeunes gens, exactement comme dans un drama, avec sa dose de romanesque, ses références repérables et confirmées, même stéréotypées, et les inévitables embûches et obstacles divers à l’accomplissement de l’amour entre les deux personnages principaux, une « future mariée assise sur une fortune et un bouseux comme moi » comme se caractérise Jun Seomoon.
La palette de Yudori s’adapte à la relation du passé en adoptant des tons beige, pourpre, vert foncé souvent déclinés en fondus sophistiqués qui donnent un aspect velouté à l’image. Le découpage très réfléchi et les cadrages souvent soulignés de noir, servent l’action comme dans un manga, mais aussi suivent les pensées et les émotions du jeune narrateur, pris dans les tourments d’un amour inconcevable, à une époque où les jeunes gens sont déchirés entre loyauté et patriotisme, entre mépris pour la misère dans laquelle est embourbée la campagne coréenne, et les prémices d’un rejet de l’envahisseur.
©Yudori/Delcourt, 2024
Autour de Seomoon gravitent quand même quelques jeunes gens déjà corrompus, symbole de l’abdication apparente des nouvelles élites coréennes. Les attraits de la modernité, introduite dès les années 1880, exercent leur pouvoir de séduction sur les jeunes, qu’il s’agisse du nouveau tramway, des charmes surprenants des restaurants étrangers, de l’éducation des filles, qui délaissent le hanbok pour pratiquer le tennis au lycée ou adopter une nouvelle lingerie et des protections intimes révolutionnaires.
©Yudori/Delcourt, 2024
Derrière la peinture fascinante de cette société en révolution culturelle, Yudori n’aborde pas encore la résistance organisée à l’occupant, mais n’oublie pas d’évoquer la loyauté aux vieux principes et ses conséquences tragiques, lorsque la police au service des l’empire et les soldats japonais s’entendent pour tabasser parfois jusqu’à la mort tous ceux qui se rebellent ou prônent le respect des valeurs de l’ancienne Joseon. En évitant une interpellation délicate, Seomoon soustrait courageusement Arisa à un contrôle policier, mais perd l’élégant et très coûteux canotier d’un camarade de lycée : Yudori fait de cette scène partagée entre soulagement et désespoir, le symbole de ce bouleversement et l’amorce efficace d’une suite annoncée.
©Yudori/Delcourt, 2024
Yudori s’affirme comme une raconteuse d’histoires savante et persuasive, qui joue de son art avec maestria pour emporter les jeunes lecteurs et lectrices dans le flot d’une créativité esthétisante et espérons-le, incitatrice pour les fans qui à partir de son œuvre, poursuivront leur découverte de la passionnante et déchirante histoire de la Corée.
Les Enfants de l’Empire, tome 1
Yudori
Editions Delcourt, 2024, 20,50€
Avec sa belle reliure et ses pages de garde « à l’ancienne », l’attirante couverture du roman graphique affiche deux silhouettes de profil sur le ciel rose de l’aube, deux représentants d’un temps révolu : un jeune étudiant en uniforme à casquette et à boutons dorés, avec à son bras semble-t-il, une jeune fille aux cheveux coupés et aux fins sourcils, vêtue d’un haut de hanbok sur une jupe à carreaux. Un voile derrière eux masque un paysage urbain au loin. Ils sont sous la lumière d’une lune encore brillante : bienvenue dans le monde enchanté de Yudori.
Dans ce premier volume de ce qui est annoncé comme une série par l’éditeur, Yudori charme le lecteur de son dessin précis, précieux, presqu’hyperréaliste, pour mieux lui faire découvrir la période complexe de l’occupation japonaise de la Corée. Dans la ville de Gyeongseong, en 1929, le Japon règne en maître depuis bientôt trente ans, réduisant l’ancien Royaume de Joseon en servitude. Les Yangban, anciens maîtres déchus, disparaissent dans la misère, quand d’autres commerçants, trouvent bien des arrangements avec le pouvoir pour s’enrichir et profiter du développement et de la modernité issus du XIXè siècle.
C’est ainsi que le père du héros est mort rongé par l’alcoolisme et la rancœur, quand M. Jo, le père de la jolie Arisa est devenu un bourgeois, riche et considéré, qui envoie sa fille au lycée Ehwa, chaperonnée par Seomoon, qu’il a recueilli avec sa mère devenue sa domestique. Le jeune homme qui découvre les classiques européens et parmi eux La Dame aux Camélias, est amoureux d’Arisa la coquette, qui s’affranchit de jour en jour.
© Yudori/Delcourt, 2024
Clairement destiné à un public Young Adult, ce premier volume pose les bases historiques sur lesquelles se déroulera l’aventure d’amour entre les jeunes gens, exactement comme dans un drama, avec sa dose de romanesque, ses références repérables et confirmées, même stéréotypées, et les inévitables embûches et obstacles divers à l’accomplissement de l’amour entre les deux personnages principaux, une « future mariée assise sur une fortune et un bouseux comme moi » comme se caractérise Jun Seomoon.
La palette de Yudori s’adapte à la relation du passé en adoptant des tons beige, pourpre, vert foncé souvent déclinés en fondus sophistiqués qui donnent un aspect velouté à l’image. Le découpage très réfléchi et les cadrages souvent soulignés de noir, servent l’action comme dans un manga, mais aussi suivent les pensées et les émotions du jeune narrateur, pris dans les tourments d’un amour inconcevable, à une époque où les jeunes gens sont déchirés entre loyauté et patriotisme, entre mépris pour la misère dans laquelle est embourbée la campagne coréenne, et les prémices d’un rejet de l’envahisseur.
©Yudori/Delcourt, 2024
Autour de Seomoon gravitent quand même quelques jeunes gens déjà corrompus, symbole de l’abdication apparente des nouvelles élites coréennes. Les attraits de la modernité, introduite dès les années 1880, exercent leur pouvoir de séduction sur les jeunes, qu’il s’agisse du nouveau tramway, des charmes surprenants des restaurants étrangers, de l’éducation des filles, qui délaissent le hanbok pour pratiquer le tennis au lycée ou adopter une nouvelle lingerie et des protections intimes révolutionnaires.
©Yudori/Delcourt, 2024
Derrière la peinture fascinante de cette société en révolution culturelle, Yudori n’aborde pas encore la résistance organisée à l’occupant, mais n’oublie pas d’évoquer la loyauté aux vieux principes et ses conséquences tragiques, lorsque la police au service des l’empire et les soldats japonais s’entendent pour tabasser parfois jusqu’à la mort tous ceux qui se rebellent ou prônent le respect des valeurs de l’ancienne Joseon. En évitant une interpellation délicate, Seomoon soustrait courageusement Arisa à un contrôle policier, mais perd l’élégant et très coûteux canotier d’un camarade de lycée : Yudori fait de cette scène partagée entre soulagement et désespoir, le symbole de ce bouleversement et l’amorce efficace d’une suite annoncée.
©Yudori/Delcourt, 2024
Yudori s’affirme comme une raconteuse d’histoires savante et persuasive, qui joue de son art avec maestria pour emporter les jeunes lecteurs et lectrices dans le flot d’une créativité esthétisante et espérons-le, incitatrice pour les fans qui à partir de son œuvre, poursuivront leur découverte de la passionnante et déchirante histoire de la Corée.
Les Enfants de l’Empire, tome 1
Yudori
Editions Delcourt, 2024, 20,50€