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Pars, le vent se lève

Dans son premier roman publié en France, aujourd'hui réédité, Han Kang mène une réflexion émouvante sur l'art et la mort.

À l’occasion de l’obtention du prix Nobel de littérature 2024, nous vous proposons de découvrir, ou redécouvrir, Pars, le vent se lève, la première œuvre d’Han Kang publiée en France par Decrescenzo Éditeurs, aujourd’hui rééditée.

Après la mort de son amie In Ju dans un accident de voiture, Jeong Hee doute de la thèse du suicide défendue par Kang, un mystérieux critique d’art qui affirme avoir été très proche de sa défunte amie : elle décide d’enquêter sur les circonstances de sa disparition. C’est à travers cette quête de vérité que notre protagoniste va être amenée à replonger au cœur de son passé mais aussi de celui d’In Ju. Cette temporalité qui s’écoule est centrale dans l’œuvre, que ce soit par la construction de la narration qui alterne entre passé et présent et ce de manière rarement linéaire. Mais aussi par l’opposition entre une narration du passé symbolisant le calme et la stabilité des personnages avec, au contraire, une narration saccadée du présent.

“Tout a disparu. Cette maison dans laquelle le bruit du vent s’infiltrait toute la nuit comme un cri par les interstices des fenêtres. Le temps où je devais inventer ma vie sans bien savoir comment (…) le temps qui traversait mes yeux grands ouverts puis s’évaporait. Tout est parti.” (p. 299) 

Jeune fille élevée par son oncle malade après la mort de sa mère, In Ju est une athlète solaire et dynamique. Jeong Hee, au contraire, est une jeune fille réservée et fascinée par les peintures de l’oncle de son amie qu’elle affectionne. Après la mort de celui-ci et l’accident qui empêchera In Ju de continuer l’athlétisme, la vie des deux jeunes femmes est bouleversée. Quelques années plus tard, In Ju, mère divorcée, enseigne la peinture et Jeong Hee apprend sa mort de manière subite. Comment survivre lorsqu’on fait face à de si grandes souffrances, lorsqu’on perd un être cher, lorsque le vent de la vie nous pousse là où on ne voulait pas aller ? “À cette époque-là, je ne savais pas que les trous percés dans l’étoffe de l’existence par la mort de quelqu’un ne se referment jamais (…)” (p. 61) Jeong Hee, dépassée par le deuil et la vie qu’elle mène, se donne alors une dernière quête, celle de la vérité.  

À travers ses multiples oppositions (mensonge et vérité, sentiment et rationalité scientifique, mort et vie etc.) cette œuvre questionne sur la signification de la vie et sa fugacité. 

Jeong Hee ne reste jamais immobile. En déplacement physique permanent, elle est aussi ramenée constamment vers les souvenirs et le passé. C’est un personnage bouleversé par ces traumatismes, qui est à la recherche de qui elle est véritablement à travers l’identité et le passé de son amie. La quête identitaire se révèle alors être l’une des thématiques principales de l’œuvre. 

De plus, l’auteure plonge son héroine dans les contrastes. Han Kang oppose différents motifs dans son œuvre, tout d’abord celui de l’encre noire des peintures de l’oncle, motif de vie idéale, renvoie aux étoiles, commencement et fin de l’univers, notions si précieuses à l’oncle mais aussi à Jeong Hee. Ce motif s’oppose à celui du sang, représentatif de la souffrance et du monde réel dans lequel doit vivre notre protagoniste : “ L’encre est noire et le sang est rouge. (…) Mais parfois je pense le contraire. Que l’encre est rouge et le sang est noir.” (p. 100)

Cette œuvre qui fait s’opposer vérité et mensonge, vie et deuil, amour et haine met au cœur de son récit le traumatisme et explore les différentes manières d’y faire face. Que ce soit par la peinture, la recherche de rationalité dans un monde qui en est dépourvu ou encore le rôle de l’écriture, Han Kang permet une réflexion pertinente et émouvante sur ces thématiques universelles. En mettant la mort au cœur de son récit, elle fait un éloge magistral de la vie, de l’amour et de l’espoir, notions clés que l’on peut retrouver dans chacune de ses œuvres


Pars, le vent se lève
Han Kang
Traduit du coréen par LEE Tae-yeon et Geneviève ROUX-FAUCARD
Decrescenzo, 2024
356 pages, 23€