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Celui qui revient

Dans ce roman à plusieurs voix, Han Kang rend hommage aux martyrs de la démocratie, à ceux partis, et ceux qui restent.

« Ce sont les soldats qui me font peur, pas les cadavres. » (p. 31)

Le 18 mai 1980, un soulèvement majoritairement étudiant s’élève à Gwangju, en réponse au Coup d’état de Chun Doo-hwan. La répression est sanglante, d’une cruauté sans nom. La jeunesse coréenne tombe sous les balles du gouvernement. C’est à eux, les martyrs, les âmes torturées, et les survivants, qu’Han Kang rend hommage avec Celui qui revient.

« Tu fixes de tes yeux mi-clos les ginkgos qui se dressent devant la préfecture. ». Dès les premières lignes, le lecteur est happé par la narration, son identité fondue avec celle de Tongho, ce garçon trop jeune pour avoir à côtoyer les cadavres. À la recherche de son ami, le collégien se retrouve à prêter main-forte dans un gymnase dans lequel s’amoncellent les corps non identifiés. Et il se souvient – les tirs, la peur, la fuite.

Le roman est découpé en six chapitres et un épilogue, retraçant la souffrance de plusieurs personnages dont les vies se croisent, brièvement parfois, tous unis dans la même lutte. Le second chapitre est narré par Chǒngdae, l’ami de Tongho, jeune lycéen mort d’une balle dans le flanc. Son âme déboussolée s’accroche à des souvenirs heureux pour ne pas perdre son humanité, tandis que son corps en décomposition n’a plus rien d’humain – ne reste qu’un tas de chair dépouillé de sa dignité, laissé à pourrir derrières des buissons.

« L’idée que je ne connaissais personne dans ce tas de cadavres en décomposition, sous ces buissons inconnus, m’a fait peur. » (p. 54)

Véritable pilier de la littérature contemporaine, Han Kang n’est plus à présenter – déjà récompensée par le Man Booker Prize en 2016 pour La Végétarienne, puis par les prix Médicis Étranger et prix Guimet pour Impossibles adieux, paru en 2023. Née à Gwangju en 1970, on lui sent une émotion particulière à traiter ce sujet. Un style franc, sans détour, empreint de poésie, de mélancolie et de colère. La narration est fragmentée, inégale – tantôt « je », tantôt « tu », tantôt « elle » –, et fait se croiser les différents personnages. Chaque chapitre suit une nouvelle voix : Tongho dans la morgue de fortune, Unsuk la jeune éditrice face à la censure d’un manuscrit, Sǒnju l’ouvrière sollicitée pour témoigner, une mère endeuillée, puis l’autrice elle-même. Tous partagent la même peur, mais aussi le même devoir. Et c’est à travers eux que le lecteur constate toute l’horreur de cette période : la révolte, la répression, la torture, la censure, la mort. Et, heureusement, en réponse : la résilience, la solidarité, le souvenir.


Celui qui revient
Han Kang
Éditions Points, 2017
240 pages, 7,60€

A propos

Doctorante en littérature coréenne, j'ai découvert la Corée par la musique et le cinéma en 2010, et l'amour que j'ai pour ce pays n'a fait que s'étendre au fil des années. En termes de littérature, ma préférence va aux polars, drames et autres récits complexes. Ma recherche se focalise sur des thématiques sombres, très présentes dans la littérature contemporaine : mal-être, psychopathologie et mélancolie ; mais cela ne m'empêche pas d'apprécier les histoires plus joyeuses de temps à autre.

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